L'histoire :
Au cœur d'une université espagnole en plein pays basque, lorsque les professeurs se retrouvent, les dynamiques individuelles se confrontent aux dimensions politiques. Les uns sont passionnés par l'art qu'ils enseignent, les autres motivés avant tout par l'autonomie de leur établissement et la rivalité avec l'état central. Les confrontations sont violentes sur le plan des idées, les oppositions idéologiques donnant lieu à des luttes d'influence pour les postes à responsabilité. Au milieu de ces rivalités, Enrique mène des recherches sur les peintres qui ont illustré la souffrance et la douleur, au cœur même des siècles où l'art religieux était tout puissant. Ses sujets de fascination se nomment Goya, Grünewald ou Munch, dont il analyse les détails morbides des œuvres les plus marquantes. Ses présentations dans les amphithéâtres sont convaincantes, personnelles et incarnées, son éloquence fascine les jeunes étudiantes. Il faut dire que le professeur à la personnalité impressionnante consacre, dans le plus grand secret, une partie de sa vie au meurtre, qu'il considère comme la forme la plus aboutie de l'expression artistique. Son premier assassinat remonte à ses jeunes années, lorsqu'il a transformé un artiste faussement moderne en œuvre sanglante, suspendue au dessus de sa toile. Cette première impulsion fut suivie de nombreuses autres, toutes différentes, expressions multiples d'une folie ultime. Personne ne le soupçonne le moins du monde, son sentiment d'impunité est insolent, jusqu'à l'arrivée d'un évènement imprévu.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Aussi imprévu que marquant, cet album épais dans un noir et blanc parfaitement maîtrisé frappe par son impact visuel et conceptuel. Le récit de cette folie meurtrière froide et distanciée suffirait à fasciner le lecteur, mais la densité du contexte des sinistres exploits d'Enrique lui confère une force supplémentaire imparable. On voyage dans un milieu plein de créativité et d'imposture, qui mélange artistes géniaux et supercherie éhontée, avec au cœur de l'action, le contexte politique basque dans l'Espagne contemporaine. Dans un long monologue fou, d'une logique absolument inhumaine, le personnage principal nous fait vivre une expérience hors de toute normalité, mais parfaitement racontée. La maîtrise narrative des auteurs est impressionnante, le scénario est bourré de références réelles au monde artistique contemporain. On est plongé au cœur d'un délire réellement crédible. Le noir et blanc parsemé d'éclats rouges de Keko trouve ses inspirations davantage du coté de Will Eisner que de Frank Miller, les quelque 130 pages de l'album lui donnant le temps de rendre l'univers d'Antonio Altarriba palpable et progressivement familier. Terriblement accrocheur, fascinant dans sa monté en puissance, Moi Assassin est tout simplement un grand polar.