L'histoire :
Dans Une chance sur cent mille, Jopo de Pojo sort difficilement de son lit, comme tous les matins. Il décide d’aller faire quelques courses pour remplir le frigo. Seulement voilà, sur le chemin, il se heurte à des kidnappeurs drogués en quête d’un joli pactole, mais qui se sont peut-être trompé de proie… Pour Jopo, les ennuis commencent, d’autant qu’il a toujours le chic pour être là au mauvais endroit, au mauvais moment…Dans Modern Art, Anton Makassar, peintre moderne torturé et double fantomatique du professeur Tournesol, se heurte à une jeune femme. Il l’emmène dans son atelier et lui propose de se reposer tranquillement. Sauf que le mari est la recherche de son épouse. Et débarque chez Makassar pour lui faire la peau…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est peu dire, mais les connaisseurs l’attendaient depuis un bout de temps. De l’auteur néerlandais Joost Swarte, il ne restait plus beaucoup d’éditions en librairie. L’éditeur Denoël répare donc cette injustice en proposant les travaux de jeunesse de l’auteur qui inventa le concept de « Ligne claire » en référence à Hergé, en une cinquantaine d'histoires courtes dont le héros Jopo de Pojo, sorte de double fantomatique nonchalant de Tintin, avance avec candeur dans un décorum arty et design, mais aussi menaçant ou violent, entre histoires cocasses, fausse naïveté et humour froid. A l’inverse d’Hergé, Swarte porte un propos assez désenchanté sur le monde, l’art, et les hommes. Toujours en quête de formalisme, la ligne claire de Swarte est ici sobre et fluide, lisible et élégante, pour un rendu de toute beauté, l’auteur interrogeant constamment son rapport à la BD par des mises en abyme, des variations d'angles, de perspectives ou des jeux de langage graphique (cf Incredible Upside Down, formidable planche-histoire qui se lit à l’envers et à l’endroit). Aussi designer, architecte et illustrateur, l’auteur affiche dans ses histoires un goût pour la modernité : éléments d’intérieurs, architecture avant-gardiste, voitures élégantes, écriteaux lumineux, affiches publicitaires... Pour l’Américain Chris Ware, qui a porté la ligne claire à une pureté inégalée depuis, le travail de Swarte ne peut que susciter l’admiration, car les angles terrifiants et la structure étourdissante des planches entraînent le lecteur vers un niveau jamais atteint de formalisme et de texture intellectuelle. La grande réussite de Swarte étant de réussir à conjuguer une narration underground et une parfaite lisibilité du trait en misant sur le décalage entre une forme naïve et un imaginaire complexe, à la fois drôle, grave et trépidant. Bref, un retour à l’œuvre d’un des grands artistes de la BD, presque oubliée aujourd’hui, sinon méconnue. Enfin, tout le monde l’a souligné, le format minimaliste adopté en 17.5 x 24 cm empêche de donner la pleine mesure du talent de Swarte, sans oublier le prix excessif du livre. A noter le bel hommage rendu par Chris Ware dans une préface courte et intelligente.