L'histoire :
En octobre 1793, un avis de perte est divulgué sur l’île Bourbon (la Réunion) : « Il s’est égaré un beau noir malgache, nommé Ulysse, d’une taille ordinaire, bien fait, à la jambe et l’épaule fournies, étant la propriété de Mr Destroudeau de Beaumorne ». Muni d’une machette, ledit noir se sauve à travers les broussailles, poursuivi par les aboiements des chiens, en remontant vers les hauteurs. Quelques jours plus tard, le propriétaire reçoit un visiteur de métropole. En bourgeois civilisés, ils fument du tabac et sont servis à table par des locaux. Beaumorne prend des nouvelles de la révolution ; l’autre remet légèrement en question les méthodes musclées et fort peu chrétiennes des colons envers les esclaves. Car ici, on mate à coups de fouet, et on punit en coupant les oreilles ou les mains. Un prêtre intervient : le nègre n’est pas homme à s’élever par sa volonté, il n’a ni besoin, ni ambition. Soudain, une porte s’ouvre. Un valet s’effondre, transpercé d’un coup de machette. Ulysse et une poignée de « marrons » viennent rendre des comptes. De sa machette, Ulysse frappe et tue sans vergogne ni distinction tous les blancs. Il met le feu à la villa et embarque de force la plus jolie des servantes. Lui et tous les esclaves auto-affranchis qui viennent de faire cette razzia vengeresse, regagnent ensuite leur vallée secrète en amont de l’île. Or, même parmi la troupe de pillard, la hargne et le caractère indépendant d’Ulysse sont contestés…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après un road-movie contemporain sur l’île de Madagascar (Vazahabe), Denis Vierge s’intéresse au passé esclavagiste d’une île voisine de l’Océan indien, la Réunion. A l’heure de la révolution française, celle-ci s’appelait encore « Île Bourbon » et commençait à connaître ses premiers soulèvements d’esclaves contre l’exploitant et tortionnaire français. Ces autochtones révoltés étaient alors appelés « marrons » et dans le premier tome de cette série (au moins un tome 2 est prévu), nous suivrons l’un d’eux dans son processus d’auto-affranchissement, durant 6 années. Le sujet, plutôt que le « héros », Ulysse, est un magnifique spécimen d’indépendance sauvage. Sa liberté, il la décide sans vergogne, massacrant ses anciens « propriétaires », s’attachant de force les services sexuels et ménagers d’une femme et édifiant sa nouvelle vie à l’écart de tous les autres, dans une grotte cachée des hauteurs de l’île. Selon un dessin plus réaliste, plus abouti que sur Vazahabe, parfois à la limite des illustrations détaillées d’époque, Vierge livre avant tout une aventure rythmée et trépidante. Mais il fait aussi œuvre de Mémoire, un travail de reconstitution visiblement fidèle aux données actuelles. La préface de l’archéologue Anne-Laure Dijoux s’en félicite, qui en profite pour resituer le contexte historique et la nécessité de reconnaissance des usages colonisateurs.