L'histoire :
En reprenant sa liberté dans la violence – en tuant un esclavagiste blanc et en incendiant la colonie – le nègre Ulysse a aussi repris son nom de Caf’la Bou. Désormais, il est « un marron » et s’est installé au plus éloigné des blancs, sur les hauteurs sauvages de l’île Bourbon (la Réunion). Dans le dénuement le plus complet, il a construit une cabane, cultivé des plantations et fondé une famille avec Louise, une femme marron enlevée aux blancs, qui lui a donné un fils, Tsifarono. Les années ont ainsi passé, entre récoltes, cueillettes, chasses et de temps en temps, un raid dans les fermes des blancs pour y voler ce qu’il ne trouve pas dans la nature (une machette, par exemple). En 1800, Louise est sur le point de mettre au monde un second enfant. Hélas celui-ci est mort-né. Affligée, Louise baptise le cadavre en cachette et en profite pour baptiser aussi Tsifarono et lui donner un nom chrétien : Moïse. Cette assujettissement religieux rend Caf’la Bou furieux. Un autre jour, deux autres marrons enfuis et épuisés échouent à proximité de son terrain. Caf’la Bou les accueille, mais il reste méfiant. Il les reconduit dès les jours suivants auprès d’une communauté de marrons. Lui, refuse tout regroupement. Il trouve cette solution dangereuse, dans un contexte où des chasseurs blancs collectionnent les mains coupées. Pourtant, les cyclones à répétitions ravagent tous ses efforts. Il lui faut sans cesse reconstruire un abri et refaire des plantations. Le risque d’être un jour incapable nourrir sa famille le pousse à aller s’installer plus bas…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Denis Vierge poursuit et conclut ici en diptyque une aventure historique documentée et révélatrice des mentalités coloniale et esclavagistes au tournant de la Révolution Française. Sur l’île Bourbon, comme on appelait la Réunion à cette époque, le marron désignait un esclave qui a repris sa liberté, un « nègre » épris d’indépendance. Dans ce sens, Ulysse alias Caf’la Bou incarne un personnage central psychologiquement riche. D’une violence sans borne envers les blancs qui l’ont asservi et maltraité, il se montre aussi résolument moderne par son anarchisme et sa misanthropie. Protecteur et éducateur envers sa famille, il a pourtant aussi conscience de l’impasse de la vie autarcique qu’il leur impose. Vierge le met en scène face à l’hostilité de la vie quotidienne (cyclones, aridité, besoins d’outils…), jusqu’à l’issu fatale de cette cavale de plusieurs années. Au terme de l’aventure, la Réunion s’appelle L’île Bonaparte… mais les mentalités n’ont aucunement changé – en 1802, Napoléon, pragmatique, re-légalisera l’esclavage dans les colonies où il a perduré. Une double lecture de ce récit mémoriel porte à la réflexion philosophique sur les notions de dignité et de liberté. La retraite d’Ulysse le rend-elle plus libre ? Le dessin réaliste encré s’inscrit au sein d’un découpage serré. La mise en scène est très souvent contemplative, montrant l’organisation de la vie en milieu sauvage. Lors de courtes séquences de discussion, Vierge débarrasse ses personnages de décors d’arrière-plan, pour préférer une teinte en aplat.