L'histoire :
« Crrââââââaââaââ » : le bruit strident d’une cage entourée de barbelés tirée sur une route par un homme, suivi de banderoles : « droits de l’homme pour tous », « ligue des droits de l’homme », « appel citoyen, non à l’expulsion des sans papiers ». « CRA » c’est l’acronyme tout aussi frissonnant du Centre de Rétention Administrative de Cornebarrieu en banlieue de Toulouse, destination de la manifestation. Deux hommes discutent en marchant : « Migreurop », réseau d’associations et « Alternatives européennes » organisent depuis mars 2012 la campagne « Open access now, ouvrez les portes » exigeant que soient visitées ces prisons pour migrants, accusées d’atteintes aux droits de l’homme, comme l’incarcération d’enfants, par exemple… La cage trainée sur le bitume, symbole du CRA, contient des témoignages de personnes passées par là, ainsi que ceux d’associations militant en leur faveur. C’est la matière même des récits qui vont suivre.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La bande dessinée se veut de plus en plus médium de témoignages sociaux et politiques, et la maison d’édition Des ronds dans l’O entend soutenir cette démarche. Après le très beau recueil En chemin elle rencontre sur les violences faites aux femmes – qui avait fait l’objet d’une exposition à Angoulême 2014 – elle n’a de cesse de publier des ouvrages militants. CRA, Centre de Rétention Administrative est de ceux-ci. Jean-Benoit Meybeck, qui a fondé en 2012 l’association « Tournefeuille sans papiers », participe activement à la campagne « Open access now, ouvrez les portes ». Désireux d’en rendre compte publiquement, il y consacre son premier album. Il y fait alterner les expériences vécues par des migrants, hommes, femmes et enfants, depuis leur arrestation jusqu’à leur internement, et celles des membres associatifs de la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme, Médecins du monde, etc. qui se relaient chaque jour, durant douze jours, pour pénétrer cet univers carcéral aux pratiques obscures, conséquences directes des lois sécuritaires de Sarkozy. Victimes de l’intérieur, acteurs de l’extérieur. Les récits des unes, portés par la conjugaison de traits au feutre fins et d’encre noire appliquée à la brosse, manifestent leur rugosité dans la dureté de leurs mots autant que de leur graphisme. La diversité de traitement des cases, mises en page, est la marque de paroles issues d’individualités et de parcours multiples, qui se retrouvent pourtant tous au centre de l’horreur. Monsieur M. incarcéré 32 jours, Priscillia arrêtée deux fois dans un car se rendant à Lourdes, Amine embarqué un soir avec son père, sa mère et sa sœur… A chacun son langage, son regard, son effroi. Les récits de ceux qui cherchent à franchir les grilles, dessinés au feutre et lavis, loin de l’expressionisme des premiers, sont plus réalistes, davantage documentaires. On ressent autant la brutalité vécue par les uns que la frustration et le sentiment d’empêchement éprouvé par les autres. On aurait cependant préféré, à la fin un peu naïve de l’album, une ouverture plus actuelle et plus politique de la situation sous le gouvernement en place. Mais cela ne gâche en rien l’importance du témoignage sous forme de parenthèses, qui nous est ici confié.