L'histoire :
Sur une minuscule île déserte, tout juste capable de contenir un couple et leurs deux enfants, le mari s’engueule avec sa femme : « J’ai beaucoup réfléchi cette nuit, et je crois qu’il vaut mieux continuer à vivre ensemble à cause des enfants ».
Dans une rame de métro bondée de gens moroses, comme appesantis par des tonnes de soucis, un homme tout guilleret tient en main la boite d’un casse-tête marqué « difficile ».
Dans une usine de jouet spécialisée dans les jouets de guerres hype-réalistes, un patron et son employé discutent : « les normes de sécurités semblent respectées, je ne vois aucun objet qui puisse être avalé par les plus petits ou qui représente le moindre danger ».
Un couple de retraités regarde tristement la télé. Affecté par une vie sans relief, l’homme s’imagine les conséquences sur son épouse d’un suicide soudain : la défaillance lorsqu’elle l’apprend, les coups portés au fonctionnaire de police pour se libérer, les pleurs sur son lit. Soudain, le repas crâme… Elle défaille, porte des coups à son mari qui est resté inerte et pleure sur son lit…
Lors d’un bal masqué, un homme déguisé en loup est terrassé par une timidité maladive, devant une femme déguisée en petit chaperon rouge : « Peur de moi ? Voyons Georges, c’est ridicule… »
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Vous vous en doutez, cet album n’est pas une bande dessinée, mais un recueil d’illustrations philosophiques et cyniques, réalisées par André Geerts, lui auteur de BD (Jojo, Mademoiselle Louise…). Comme André Franquin, en son temps, avait ressenti le besoin de dessiner quelques Idées noires entre deux Gaston ou deux Spirou, André Geerts a promené son spleen artistique sur notre humanité. Avec tendresse ou ironie, il appuie là où ça fait mal, nous révélant parfois sans ménagement, mais avec un lyrisme certain, les petits travers et les grands maux de notre humanité. A plusieurs reprises, en prenant conscience de ces situations ubuesques, on se sent tout petits dans nos vies étriquées. On a une impression d’oppression, de ciel bas et lourd qui pèse comme un couvercle… Certes, le regard acide sur notre société est plus éthérée, plus délicat que les Idées noires franquiniennes, foncièrement radicales dans leurs chutes, ou encore moins gores que les recueils de Michel Serre. Aussi parfois met-on un temps de réflexion avant de comprendre la subtilité du propos. Le trait de Geerts est aussi plus retenu, comme timide, bien que parfaitement travaillé. Initialement publiés entre 1984 et 1986 dans le journal de Spirou, ces dessins de presse emprunts de nostalgie et plus souvent de cynisme, sont aujourd’hui édités dans une édition de luxe carrée. Un recueil à parcourir à l’automne, un soir de novembre et de grisaille…
