L'histoire :
Quelque part dans le froid glacial du pays inuit, Uqsuralik ressent une vive douleur au bas-ventre. C’est la troisième lune depuis que le soleil a disparu, et c’est la première fois qu’elle a si mal. Elle sort du dôme familial, où ses proches dorment, blottis comme une grosse bête roulée sur elle-même. L’air glacé apaise un peu ses entrailles, et elle croit sentir son ventre délivrer du sang, des œufs, ou peut-être des foies d'oiseaux. Soudain, la glace se brise. Elle s’éloigne, coupée des siens. Son père tente de lui lancer une peau d’ours, mais rate. La flèche du harpon disparaît dans la soupe de glace. Le cri de son père, imitant l’ours, s’éteint. Le silence s’installe. Uqsuralik découvre que son couteau est toujours dans sa poche. Elle utilise le manche du harpon pour sonder la glace devant elle. Un crissement se fait entendre : esprit ou animal ? C’est Ikasuk, la chienne de son père, accompagnée de ses quatre jeunes chiens. Peut-être l’accusent-ils ? Mais Ikasuk s’impose, elle la protège. Uqsuralik n’est plus seule, mais elle doit désormais survivre dans cet environnement glacé et dangereux avec ses compagnons de fortune.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Adapté du roman de Bérengère Cournut, De pierre et d’os (prix du roman Fnac 2019 et Libr'à nous 2020) est bien plus qu’un récit de survie. C’est une immersion sensorielle dans l’univers inuit, un monde où l’eau, les esprits, les chants et les bêtes forment un équilibre fragile et sacré. Jean-Paul Krassinsky réussit ici un tour de force : transformer la poésie du texte originel en une narration graphique puissante, intuitive, presque chamanique. Par son dessin semi-réaliste épuré de toute fioriture, il laisse affleurer l’émotion brute et la force symbolique du récit. On pense parfois à The Revenant (de Alejandro González Iñárritu, avec Leonardo Di Caprio), mais la comparaison s’arrête vite : ici, c’est une héroïne discrète, forte et intérieure, qui affronte les forces de la nature et celles de son propre corps. L’album est traversé de visions fantastiques, de moments suspendus, où le dessin épouse la spiritualité du récit sans jamais la trahir. Dans le froid extrême, Krassinsky fait jaillir une chaleur narrative rare : celle d’un regard respectueux et amoureux d’un monde lointain et d’une femme en train de naître à elle-même. Une œuvre aussi sobre que lumineuse à lire tranquillement au coin du feu ou à l'ombre d'un pommier en fleurs.