L'histoire :
Une nouvelle fois, la femme de Monsieur Java fait ses valises. Elle emporte tout, ses affaires, ses papiers... la coupe est pleine. Il est grand temps pour elle de partir et de quitter son mari. Ses trois filles passent la tête par la porte et la taquine gentiment. Les filles en rient et commencent à ouvrir les boîtes à souvenir. Paris, Gênes, Naples, Aden, Singapour, toutes les villes où leur mère a voyagé y passent. Jana, Saskia et leur sœur connaissent leur mère par cœur. D’ailleurs, elle fait ses valises au minimum deux fois par an et cela se finit toujours de la même façon : toutes quatre allongées sur le lit sous la douceur d’un ventilateur, pour mieux se replonger dans leurs souvenirs dans la chaleur moite de la guerre en Indonésie. La vie dans le camp japonais est difficile même après le départ des forces impériales japonaises. C’est d’ailleurs dans ce camp que Monsieur Java a rencontré sa femme. Cette dernière avait déjà ses trois filles d’une précédente union et Monsieur Java les a protégées dans le camp. Juste après leur rapatriement de la famille au Pays-Bas, le gosse est né. Ce jeune garçon vit à travers les souvenirs de son père qu’il aime tendrement malgré ses accès de colère et la sévérité de son éducation. Monsieur Java n’arrive pas à reprendre vie, déraciné de sa terre natale, vivant dans un pays qui ne l’accepte pas et qui refuse de faire valoir une quelconque réparation, l’homme sombre dans la dépression emmenant avec lui son couple et ses enfants.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce roman graphique d’environ 120 planches nous plonge dans la fin de la seconde guerre mondiale au Pays-Bas, après la chute des colonies et le rapatriement de ses ressortissants. Peter Van Dongen s’inspire librement du roman d’Adriaan Van Dis et nous fait découvrir une famille recomposée réfugiée des camps japonais en Indonésie, luttant pour vivre dans un pays qui ne les accepte pas. Le récit est touchant car, outre le contexte tragique de cette famille à la recherche du bonheur, les personnages de Monsieur Java et de son fils, « le gosse », sont extrêmement complexes. Monsieur Java, en premier lieu, est un militaire né dans les Indes néerlandaises, réfugié aux Pays Bas. Le récit décrit de façon très pertinente le ressenti d’un exilé se sentant lésé par les instances du pays dans lequel il vit, réclamant justice et réparation. Puis vient le gosse – ou le môme, c’est égal, il n’a pas de nom. Ses sœurs l’appellent selon la corvée qu’il vient de finir, chiffon ou balai. Le jeune homme vit à travers les histoires de son père, excellent conteur, et se réfugie dans ses pensées dès que point l’adversité. Le récit est plutôt lent et le lecteur prend son temps à analyser le contexte tout en essayant de comprendre le fonctionnement, les maux et les non-dits de cette fichue famille. Au niveau du dessin, Peter Van Dongen, digne successeur de l’inimitable Jacob dans la fameuse série Black et Mortimer, nous livre un ouvrage dans l’esprit « ligne claire » du maître. L’ambiance artistique de l’ouvrage est belle, les planches où l’histoire se déroule en Indonésie sont époustouflantes et le dessin en général est un vrai régal. Somme toute, l’ouvrage est à lire en prenant son temps, en analysant le contexte géopolitique de l’époque, en essayant de ressentir le drame que vit Monsieur Java et l’impact sur sa femme, ses belles filles et le… gosse.
