L'histoire :
Aurore est tranquillement en train de prendre une tasse de chocolat avec son prétendant, Hector, lorsque soudain, tout s’effondre autour d’elle. Le plafond se liquéfie, les murs se resserrent en une masse visqueuse… Esseulé, étouffée, Aurore se fraie un passage vers le haut, et arrive enfin à l’aire libre, de nuit, sous une pluie battante. Elle s’extirpe de l’orifice, à l’instar de nombreux autres petits êtres de son espèce… Elle glisse et choit beaucoup plus bas, sur l’humus. Elle se redresse et contemple alors avec effroi son milieu d’origine : une fillette géante, gisant morte, en pleine forêt. Le lendemain, de jour, les choses paraissent plus simples. Tous les petits êtres s’organisent de leur mieux pour survivre en dehors de leur « hôte ». Jane a trouvé une paire de ciseaux ; Plim organise la distribution de biscuits trouvés dans le cartable ; Zélie fait sa chochotte : elle s’est fait mal à la cheville ; Hector semble distrait… Chacun s’adapte sans plus de contrariétés que cela, l’un cueillant des baies, l’autre récupérant la rosée sur les feuilles. La nuit suivante, un chat sauvage fait quelques victimes parmi la petite communauté. Le surlendemain, il s’agit donc de se trouver des refuges plus sécurisants. Aurore sympathise avec un mulot, d’à peu près de sa taille, en dépit des limites de langages…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Véritable orfèvre en matière de scénarii, l’insaisissable Fabien Wehlmann a déjà livré quelques perles. One-shot féérico-horrifique (et oui, depuis Tim Burton, c’est possible), Jolies ténèbres nous plonge d’emblée dans un contexte pour le moins surprenant. Sans le moindre début d’explication, nous suivons en effet la mésaventure fantastique vécue par une communauté de minuscules êtres, habitants jusque là à l’intérieur d’une petite fille qui vient… d’être assassinée en pleine forêt ! Le pourquoi, le comment, on ne le saura jamais : seul importent les agissements de ces mini créatures infantiles, dans leur impératif de survie et d’organisation. Au fil de 4 saisons, le récit aligne dès lors les exactions / irresponsabilités / incivilités d’entre eux, sous le regard désapprobateur d’Aurore. Mais d’où donc est venue l’idée d’une histoire aussi saugrenue ? En fait, ce conte noir et extravagant est inspiré par Marie Pommepuy, la moitié féminine du dessinateur bicéphale « Karascoët » (avec Sébastien Cosset). Empruntant visuellement le style de la « nouvelle vague BD », le dessin du duo est la majeure partie du temps gentillet, enfantin, avec quelques parenthèses réalistes de toute beauté, n’hésitant pas à d’autres moments à verser dans le sordide dernier degré. On y croise par exemple une fillette crado qui se nourrit des asticots du cadavre en décomposition… ou la bouche béante et sanguinolente d’une autre, explosée par le bec d’un oiseau venant de lui donner un peu trop profondément la béquée (à mourir de rire !). Une question ne nous quitte jamais : qui sont ces petits êtres, exactement ? Chacun semble représenter un fragment de la personnalité de l’« hôte » d’origine… Mais de cela, comme du sens à attribuer à cette fable horrifique, les auteurs laissent l’imaginaire du lecteur faire son œuvre. Huit ans après sa première édition, l'œuvre bénéficie d'une réédition au sein de la prestigieuse collection Aire libre.