L'histoire :
C’est en 1896 que Jean Dupuis, apprenti puis ouvrier typographe à L’Union de Charleroi, acquiert avec ses propres économies sa première presse à pédale. En 1898, il s’improvise imprimeur éditeur, avec la publication de L’Histoire de Saint Hubert. Visionnaire, il démarche ensuite les pharmacies et leur propose l’impression de leurs emballages en papier aux armes de leur officine. Trois ans plus tard, déjà chef et père de famille, l’imprimeur de 33 ans achète son premier terrain pour y installer ses ateliers. Sis dans la future rue Destrée à Marcinelle. En avril 1922, à 47 ans, après avoir acheté sa première linotype, Jean Dupuis se lance dans la presse avec Les Bonnes Soirées. Deux ans après, il s’adresse cette fois à la famille toute entière avec le Moustique. Dès la fin de la deuxième guerre mondiale, Maurice de Bevere, dit Morris, y prête ses talents d’illustrateur, y amenant Franquin et Peyo, désœuvrés après la faillite du studio de dessins animés qui les emploie. Puis ce sera enfin Spirou, journal pour les enfants. Il faut cependant trouver une personnalité attachante pour ce titre et un professionnel capable. Ce sera Rob-Vel, le dessinateur du personnage-titre du Journal de Toto, un jeune mousse déluré. Un pas de côté, et ce mousse deviendra groom de l’hôtel le Moustique ; la boucle est bouclée. Dès 1938, date de création du Journal de Spirou, sa rédaction est intimement liée à celle du Moustique. Elles se partagent les talents du même rédacteur en chef, Jean Doisy, elles sont situées dans les mêmes locaux et sont imprimées sur les mêmes presses. Jijé reprendra bien vite le personnage titre et lui adjoindra Fantasio, puis Franquin : Spip, Secotine, le Marsupilami, Champignac et bien d’autres, avant que d’autres dessinateurs n’emboitent le pas. La légende est en marche.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Au long de ce livre illustré de cases, de couvertures et d’images d’archives, José-Louis Bocquet et Serge Honorez, tous deux liés au journal Spirou depuis 1981, délivrent une présentation de cette histoire, ne s’éloignant pas trop du journal, à part quelques à-côtés (Les Disques du Ménestrel, Desseins animés...), le tout avec didactisme, voir pédagogie, le propre d’une exposition. Cependant, comme ce n’est pas la première publication sur le sujet de l’éditeur et du personnage, on a obligatoirement tendance à le comparer à l’excellent travail de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault avec La Véritable Histoire de Spirou, parue en 2013 déjà aux éditions Dupuis. Un album devenu une belle référence. Dés lors, en feuilletant ce nouvel ouvrage un peu moins conséquent en termes de pagination, vient très rapidement la sensation de tenir un livre uniquement complémentaire. La maquette du présent livre, pourtant encore créditée à Philippe Ghielmetti et Delphine Ribeyre, mais réalisée sous la direction de Benoît Fripiat, ne suscite pas vraiment le même charisme, et avouons-le, rappelle vraiment trop une compilation de panneaux d’exposition. Si les anecdotes – très intéressantes au demeurant – s’enchainent, leur présentation est assurée dans un ordre qui surprend, voire déstabilise. Le choix de procéder chronologiquement a certes été respecté, mais chaque année effeuillée est trop souvent illustrée avec des images n’ayant aucun rapport avec elle, si ce n’est le nom de l’auteur, voire un successeur. L’exemple des pages 19 à 23 étant suffisamment parlantes, où, pour décrire 1938, l’année de naissance de la revue Spirou, on affiche la couverture de l’album Mr Choc de Maltaite, datée 2017, une planche du Tif et Tondu de Blutch datée 2018 ou bien encore une couverture de la revue, par Brétécher, datée de 1968. Page 23 : le chapitre « Spirou au féminin », s’il cite bien la série Les aventures de Zizette par Luc Lafnet et Blanche Dumoulin, alias Davine, insère en haut de page et en grand format une case tirée des Naufragés de l’escalator d’Antoinette Collin et Jean-Marie Brouyère, daté d’un Spirou de... 1973. Allez suivre après ça ! Les chapitres, courts et nombreux, se ressemblent dans cette problématique illustrative, sans toutefois être repris sous forme d’un sommaire en fin de volume, ce qui aurait quand-même été bien utile vu la large période concernée (1896 à 2022). La large période, cela dit, reste l’atout principal de ce livre, dont chaque génération de lecteurs, dont la plus jeune, pourra apprécier une ou plusieurs parties. Au final, les personnes ayant eu l’opportunité de voir l’exposition seront sans doute heureuses de retrouver un souvenir de celle-ci dans ce catalogue assez complet. Mais les amateurs éclairés de Spirou et des éditions Dupuis, tout comme les bibliophiles, resteront dubitatifs quant à cette publication, bien en deçà des standards habituels de l’éditeur. (Détail : quelle pertinence accorder à un chapitre sur la collection Aire libre créée en 1988, titrant « 1988 Aire Libre : L’invention du roman dessiné » (!!?) Un catalogue d’exposition donc, à picorer avant tout, et contenant « des choix — souvent déchirants » comme il est d’ailleurs rappelé en avant-propos.
