L'histoire :
Un jeune garçon observe minutieusement la maison de son enfance, un univers qu’il connaît par cœur mais dont il rêve de s’échapper. À quelques rues de là, dans son imaginaire, l’attend Paris, la ville où tout se passe, où brillent les vedettes qu’il voit à la télévision. Dans cette maison, il y a sa mère et d’autres figures, mais aussi un grand absent : son père, un fantôme figé sur de vieilles diapositives. Ce vide, il le comble en dessinant, transformant les figures de son passé en personnages de fiction. Ainsi naissent Jean-Claude Tergal, Le Fils du Yéti ou encore Les Poissards, où les drames deviennent des blagues et où les morts sont toujours un peu vivants. À travers ses albums, il s’amuse à brouiller les frontières entre réalité et invention, semant des indices sur son histoire sans jamais vraiment la dévoiler. Mais un jour, face aux souvenirs qui s’accumulent, il décide de mettre des mots sur ce qui se passe dans son crâne. Il achète un cahier à spirale et commence à écrire, cherchant à démêler le vrai du faux, à comprendre comment l’imaginaire et le passé s’entrelacent pour faire de lui l’auteur qu’il est devenu.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y avait Le Carnet à spirale chanté par William Sheller en 1976, il faudra désormais compter avec Le Cahier à spirale de Didier Tronchet. Cet ouvrage est sans doute son récit le plus intime, où il se dévoile avec une sincérité rare. Loin des personnages outranciers et de l’humour vitriolé de Fluide Glacial, cet album explore son enfance et surtout la figure centrale de sa mère. Une femme pudique, qui avait du mal à exprimer ses sentiments autrement que par des gestes du quotidien loin d’être bordé de nouilles (Ah, le fameux gratin de coquillettes de sa maman !). À travers un récit éclaté, onirique et piquant, Tronchet retrace son histoire familiale avec une tendre irrévérence. Il évoque son rapport à une mère aimante mais distante, sa famille et un père devenu fantôme. Le réel et l’imaginaire s’entrelacent dans une fresque où les souvenirs sont filtrés par l’humour et une sensibilité à fleur de peau. L’auteur, derrière son masque de dérision, révèle une profondeur émouvante qui traverse tout l’album. Son dessin est toujours aussi expressif. Fidèle à son style caricatural et burlesque, Tronchet joue sur des visages déformés par l’exagération, des postures clownesques qui traduisent à merveille l’absurdité de certaines situations. Il y a quelque chose du pantomime dans sa manière de croquer les attitudes, comme si l’humour visuel permettait de désamorcer l’émotion brute du récit. Un décalage permanent entre le trait et le fond qui rend cet album aussi drôle que bouleversant. Didier Tronchet ne peut s’empêcher d’être caustique, notamment dans ses interactions avec son éditeur, où il joue avec un ton à la fois incisif et léger. Comme toujours chez Tronchet, le décalage est là, mais cette fois teinté d’une émotion sincère. Il nous ouvre les portes de son univers avec une maîtrise du récit éclaté, où chaque élément du quotidien prend une dimension fantasmagorique. Il signe là un album brillant, drôle et bouleversant, qui nous plonge au cœur de ses souvenirs d’enfance. On s’y amuse, on s’y perd, on s’y émeut, et l’on referme le livre avec le sentiment d’avoir partagé un moment rare avec un auteur qui, derrière l’humour, cache une immense sensibilité.