L'histoire :
Le journaliste londonien Howard William Russell est un peu trop gauchiste pour le gouvernement de la reine Victoria. En effet, à aucun moment, dans son article du Times, il n’écrit que les grévistes de l’usine Burdett ont tort. Afin de ne pas gâcher la belle prospérité anglaise, les autorités décident donc de l’éloigner. Ils l’envoient ainsi en reportage de terrain outre-Atlantique, afin qu’il rapporte la guerre de sécession. C’est ainsi à dos d’une mule, en train de compter les macchabées qui jonchent le terrain à l’issue d’une charge meurtrière, que Blutch et Chesterfied font sa connaissance. Russell leur explique que son journal l’envoie ici pour écrire une série d’articles en étant au plus près des soldats, au cœur de la bataille. Blutch et Chesterfied le conduise jusqu’à leur général, qui soutient pleinement l’initiative de ce correspondant de guerre – adoubé par Lincoln himself. Alexander imagine que Russell valorisera l’héroïsme de ses hommes et la valeur de leur cause. Il charge évidemment Blutch et Chesterfied de l’accompagner sur la ligne de front et de veiller à ce qu’il ne s’expose pas trop au cours de sa mission. Voilà donc le trio qui part en campagne. Après une première journée de cheval, un orage les pousse à se réfugier au sein d’un orphelinat plus ou moins abandonné…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
« Mais où est passé le tome 64 ? » s’inquiète le sticker en couverture… Pas d’inquiétude, il paraîtra en 2021, après ce tome 65 et il sera bel et bien signé Raoul Cauvin et Willy Lambil. Il sera le dernier fourni par Cauvin-scénariste, fondateur historique des Tuniques bleues. Il ne sera cependant pas le dernier de Willy Lambil, dessinateur depuis près de 50 ans et la mort de Louis Salvérius (en 1972). En attendant, l'équipe de cet épisode 65 se compose de l’expérimenté duo Béka (Bertrand et Caroline) et du très disneyen Jose-Luis Munuera. L’album s’ouvre d’ailleurs sur une longue interview des repreneurs explicitant cet album parenthèse. Les Béka et Munuera font globalement perdurer l’esprit de la série, comme il fallait heureusement s’y attendre. Au cœur des débats de cet épisode, le duo Chesterfield et Blutch sert de chaperon à l’un des premiers journalistes de guerre, l’authentique William Russel. Après avoir écumé le terrain, ce dernier rapporte fidèlement les dégâts de la guerre de session dans le Times, ce qui ternit quelque peu l’image des Etats Unis en Europe. Et ce qui pousse les nordistes et les sudistes à trouver une solution en commun pour se débarrasser de lui ! Une alliance ponctuelle et de circonstance entre les deux ennemis est rarissime dans la série – cela marque un réel distinguo d’avec les scénarios de Cauvin. Pour le reste, notre duo de héros antithétiques reste fidèle à lui-même : Chesterfield ultra-patriote, discipliné et autoritaire envers Blutch, anti-militariste, cossard et déserteur en puissance. Le scénario des Béka se double surtout d’un débat de fond – de tout temps d’actualité – sur l’écriture de l’Histoire, le roman national et l’orientation des journalistes. Quant à Munuera, il ajoute un gros surcroit d’expressivité dans le dessin, avec des tronches plus souples qu’elles ne l’ont jamais été. Le curseur est notamment large concernant Chesterfield qui y gagne tantôt en héroïsme, tantôt en balourdise dans ses postures. En clin d’œil, Munuera rend également hommage à Cauvin et Lambil, à travers un duo de personnages dynamiteurs de ponts. Les cadrages changent aussi, pour devenir plus cinématographiques, avec une plus grande alternance des scènes larges avec les gros plans et un découpage plus dynamique. Voire une double planche spectaculaire et totalement inédite sur le front de la guerre. Bref, une page d’une des séries emblématiques de l’âge d’or est en train de se tourner, sans rupture, mais avec ce qu’il fallait de modernité pour faire perdurer le plaisir des fans. Quel sera le scénariste du futur tome 66, aux côtés de Lambil... ?