L'histoire :
En septembre 1939, Louison, un gamin orphelin et amnésique, est placé dans une famille d'accueil de l'Oise. Aux côtés des deux autres gamins , il est sensé aider la mère de famille à la ferme, car son mari a été mobilisé pour le front. Mais sa hargne et sa passion pour les armes rendent les choses conflictuelles. Brûlant de comprendre qui il est, il s'enfuit en pleine nuit. Après avoir erré quelques temps, il trouve refuge auprès d'une bande de romanichelles bienveillants. Leur meneur lui offre le couvert et l'hospitalité, dans la roulotte de sa fille, muette et enceinte. Au même moment, Etienne Murol rentre à Paris, après avoir passé quelques mois aux beaux arts de Vienne. Occupés à protéger les oeuvres d'art du Louvre contre l'occupation allemande probable, ses amis l'accueillent un peu froidement. L'enthousiasme d'Etienne pour l'art et la culture autrichienne, ainsi que sa manière de dédramatiser le nationalisme agressif d'Hitler en Europe, leur font craindre qu'il ait été séduit par l'idéologie nazie. Il les quitte fâché et trouve refuge chez son ex, une asiatique prénommée Yin Tsu. Puis il se rend à l'ordre de mobilisation qui le concerne...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Inspirés par les documents issus de l'histoire de sa propre famille, Eric Liberge propose ici, en solo, le premier tome d'un triptyque de guerre très dense, s'intéressant au second conflit mondial sous nombre de ses aspects. Deux destins se suivent en parallèle, jusqu'à s'entrecouper en fin d'album. Celui d'un ado, Louison, orphelin et amnésique, qui parle allemand en dormant et aimerait donc comprendre ses origines. Il évolue au sein d'une société civile particulière : au côté des gitans, puis en fugue. L'autre fil rouge s'intéresse à Etienne, étudiant aux beaux arts qu'on suspecte de sympathie envers les idées du IIIe Reich. Son parcours militaire et son profil particulier permettent notamment à l'auteur d'aborder l'Ahnenerbe, cet institut répugnant intégré aux SS qui, sous prétexte d'anthropologie raciale et d'archéologie, visait à instaurer la supériorité aryenne. L'occultisme nazi est en effet une des composantes de l'histoire, comme l'indique partiellement le titre. Dans la mythologie germanique, Wotan (alias Odin) est le dieu polymorphe de l'orage, des guerriers et de la victoire. D'ailleurs, une curiosité narrative survient de temps en temps, presque saugrenue, avec l'incursion légère du fantastique (Louison discute avec Du Guesclin et il voit les fantômes des morts !). Si l'aspect mémoriel de ce premier opus se montre tout à fait convaincant, on ne voit pas encore très bien où Liberge veut nous emmener sur ce front « ésotérique ». L'auteur fournit aussi un gros boulot sur le plan visuel, toujours dans cette veine très personnelle dont il a fait sa griffe. Il mélange en effet un dessin réaliste précis et régulier (pour les personnages) et des arrières plans plus composites, alliage de dessins, de photos retraitées, de montages infographiques souvent monochromes. Le tout s'inscrit dans un découpage hors norme et très serré, avec des cases rondes, des enchevêtrements, des superpositions... et malgré tout, cela demeure parfaitement lisible. Une mise en bouche intéressante, donc, qui se démarque surtout par son gros-oeuvre de Mémoire en amont...