L'histoire :
En Nouvelle Calédonie, en 1984, le vieux kanak Gocéné se fait conduire en voiture de la ville de Poindimié vers son village Tendo, par son ami blanc Francis. A 20 km de l’arrivée, ils sont arrêtés par un barrage de deux membres isolés du Front de libération Kanak. Une kalachnikov à la main, l’un d’eux les intiment de rebrousser chemin, tout est bloqué. Sage et expérimenté, Gocéné descend du véhicule et décide de finir à pieds. Mais avant, il accepte de partager un thé avec les deux jeunes révolutionnaires, afin de leur expliquer quelques petites choses sur son ami blanc. En effet, quand il était jeune, en 1931, Gocéné, ainsi que sa promise Minoé et son ami Badimoin, faisaient partie d’un groupe de kanaks désignés par le chef de leur village pour se rendre à Nouméa, sans raison apparente. Ils avaient rejoint un groupe de plus d’une centaine de kanaks de tous âges venus de différents villages. L’adjoint du gouverneur leur avait alors fait une grande nouvelle, présentée comme une opportunité de voir du pays et de faire briller leur civilisation en dehors de leur île : ils allaient participer à l’exposition coloniale de Paris. Ils s’étaient un peu méfiés, mais n’avaient pas trop le choix… Le 15 janvier 1931, ils avaient ainsi embarqué à bord d’un gros paquebot, mais parqués sur le troisième pont…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Autre époque, autres mœurs. Dans les années 30, les puissances coloniales française et anglaise se tiraient encore la bourre pour savoir qui avait la plus grosse… En 1931, fut ainsi organisée une grande exposition coloniale à Paris, en réplique à celle de Londres, 7 ans plus tôt. Cette occasion fut l’une des dernières où un zoo humain fut exhibé aux visiteurs, une « attraction » avilissante et choquante aujourd’hui, mais plutôt populaire à la fin du XIXème et au début du XXème siècles. Parmi les pavillons exotiques, celui consacré à la Nouvelle Calédonie exhibait alors une centaine d’indigènes kanaks dans leur habitat reconstitué. Ils étaient présentés comme des cannibales, devaient montrer des dents à heures régulières, exécuter des danses folkloriques et accepter de recevoir bananes, cacahuètes et cailloux… Dans ce one-shot aujourd'hui réédité (la version originale chez Emmanuel Proust date de 2009) chez EP Editions (il y a plus qu'une nuance...), le scénariste Didier Daeninckx imagine cette expérience authentiquement vécue à travers une poignée d’indigènes fictifs. Les sentiments éprouvés, l’échappatoire tentée et la tragédie traversée par ces héros sonnent très justes. Par le phénomène d’acculturation entre la civilisation forcée et inhumaine, et la quête de liberté indigène, un parfum de Greystoke (le film de Hugh Hudson) domine la lecture. Le dessin réaliste est assuré par Emmanue Reuzé dans un style graphique un peu rough qu’on ne lui connaissait pas encore. Son parti-pris torturé, un peu hachuré et un peu âpre, ainsi que ses ambiances couleurs souvent monochromes, entrent cependant en adéquation avec le registre du drame mémoriel.