L'histoire :
Le long d'un boulevard, une jolie fille attend le client. Un jeune homme se tient derrière elle, planté comme l'arbre sous lequel il se trouve. Son silence dissimule mal son air triste. « Mais... tu veux bien me laisser tranquille ? Tu veux pas t'en aller une bonne fois ? Tu te rends pas compte que tu fais fuir ma clientèle ? Entre toi et moi, il n'y a rien eu... tu comprends pas ? Pour moi, tu n'as été qu'un de plus. Un parmi d'autres. J'ai été avec toi parce que tu m'as payée. Je t'ai traité avec tendresse parce que je t'aimais bien, parce que je suis affectueuse... parce que... parce que c'était la première fois et tu étais... enfin parce que c'était ta première fois. J'ai fait avec toi plus que je ne fais avec les autres. Je t'ai laissé m'embrasser. Tu voulais me voir avec les cheveux défaits, alors j'ai défait mes cheveux – avec le mal que j'ai à me faire un chignon – Mais qu'est-ce que tu veux de plus ? Je t'ai dit que tu me plaisais parce que c'est vrai, tu es tendre et bien élevé, tu es beau garçon et plaisant... Mais maintenant il faut que tu t'en ailles, comprends-le. J'ai besoin de continuer à travailler. Maintenant, il faut que tu rentres chez toi. Entre toi et moi, il ne peut rien y avoir. Vas-t'en, s'il te plait, vas-t'en. Si tu m'aimes vraiment, vas-t'en ». Alors le garçon part, sans un mot, la tête basse. « Viens demaaaain ! Même si tu n'as pas d'argeeeent ! »...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Carlos Giménez est, à juste titre, une légende vivante de la BD. L'avenir nous le dira, mais on parierait cher qu'il restera aux côtés des plus grands auteurs de romans graphiques. Avec Paracuellos, le monde entier découvrit sa capacité à raconter des histoires terriblement humaines, puisqu'il mettait en scène son enfance, passée d'un établissement religieux à un autre, dans l'Espagne étouffée par le joug du dictateur Franco. C'est en 1984, dans la revue Fluide Glacial, que parut la première histoire qui ouvre ce recueil. 17 pages historiques, puisqu’il s'agit de la plus longue histoire jamais parue dans le magasine et dont toutes les clés sont livrées par Marcel Gotlib lui-même, dans la préface de l'album. Un jour, quelque part, un rendez-vous est une histoire aussi folle que profonde, qui traite d'un auteur de romans séduit par une lectrice qui l'appelle. Alors sa conclusion nous emmène au cœur même de ce qui donne du sens à la vie, en illustrant ces moments dont on se souviendra toujours, pourvu qu'on ait aimé et été aimé, ne serait-ce qu'une heure. En une centaine de pages pour 16 histoires, réparties en deux cycles (Amor, amor !! et Amour toujours, l'auteur espagnol nous prend par la main, parfois par les sentiments, pour qu'on devienne le témoin d'histoires qui contiennent tout : les sentiments et les pulsions, les trahisons et les vengeances, la découverte de la sexualité, la légèreté, les joies et les peines. Le SIDA aussi, à une époque où il était un réel tabou. Oui, il y a tout dans ces histoires courtes. Tout ce qui échappe à ce bref descriptif, tout ce qui est dans le génie de Giménez. Et même si, parfois, on a le sentiment que certaines sont moins réussies que d'autres, il suffit de poser ce bouquin et de laisser passer un tout petit peu de temps, pour se rendre alors compte qu'elles n'ont pas d'équivalent. Un vrai classique.