L'histoire :
Le bobo idéal aime les quartiers populaires pour leur authenticité et parce que c’est là que vivent les vraies gens. Aux alentours du canal Saint-Martin, examinons à la jumelle divers groupes de bobos dans leurs rapports sociaux quotidiens. A un vernissage, deux types (amis ?) discutent en essayant de faire passer l’autre pour un as-been. Dans une boutique spécialisée en produits issus du commerce équitable, deux jeunes femmes sont à l’affut du « truc » original et tendance, qu’importe le prix ou le degré de finition : il s’agit de commerce équitable, bon sang (ou éthiquable ?). Lors d’une émission télévisée, le présentateur Franz-Olivier Lombard, alias FOL, qui se plante toujours sur le nom de ses invités, interviewe un top-model qui a lancé le concept de mode-politique. Dans un bar bio tenu par des homos, un type présente lui aussi son concept à un pote (ami ?), sur son Mac® portable : les films en « vertical eye », c'est-à-dire filmés latéralement, et qui nécessitent donc de tourner son écran de 90° (c’est forcément génial, puisque ça n’a jamais été fait)…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Evidemment, quand on sort une BD l’année même où on se prépare à être président(s) du festival d’Angoulême (en janvier 2009), les médias focalisent logiquement sur ledit ouvrage. Pourtant, en toute objectivité, l’indivisible duo Dupuy et Berberian livre ici une étude extrêmement aboutie sur les comportements « Bobo », alias « Bourgeois Bohemian ». Mais primo, qu’est-ce donc qu’un Bobo ? Ces deux termes antinomiques sont en effet idoines pour désigner une créature urbaine particulière : une sorte de classe supérieure parfaitement intégrée à la société libérale, mais se réclamant paradoxalement de l’idéal soixante-huitard. Le terme a été inventé dans les années 90 par David Brooks, auteur new-yorkais, pour décrire la frange des yupies des 80’, aujourd’hui à l’affut des tendances originales. Par chez nous, idéalement, le bobo est une figure parisienne, bien pensante, écolo de gauche, et il possède forcément un T-shirt du Che. Le bobo a recours à un vocabulaire restreint composés de mots récurrents tels que équitable, bio, concept, cosy… Ultime astuce pour l’identifier : le bobo refuse toujours d’admettre qu’il est bobo. Justement, ce one-shot de Fluide Glacial, qui réussit la gageure d’être sérieux ET drôle, fait parfaitement le tour de la question, sans jamais s’épuiser à l’expliquer. Au fil d’une chronique de la vie ordinaire aux abords du canal Saint-Martin, on croise divers protagonistes qui papotent et échangent leurs points de vue, à la manière des « récits chorals », exhibant dans toute leur splendeur leur degré de « boboitude ». Certes, sur cette partition narrative subtile, le dessin est très… Dupuy et Berberian, quoi. Un trait stylisé, moderne, rapide, mais parfaitement adapté au propos (eux-mêmes sont indubitablement des bobos…). Le duo infernal prouve ici – s’il en était encore besoin – son acuité à pénétrer les contradictions de notre communauté humaine délirante et son talent à mettre en scène le produit de cette fine analyse sociologique. Encore un joli coup !