L'histoire :
Carmen Cru est une très vieille dame qui habite une très vieille maison, au fond d'une impasse. Toujours couverte d'un épais manteau et d'un bonnet sans forme, elle vit à son rythme très particulier les événements de sa vie quotidienne. Chaque être humain qu'elle croise est l'occasion pour la vieille dame de critiquer le monde entier, le manque d'éducation de ses congénères, l'absence de respect dont elle se dit victime. Mais la petite vieille a bien plus de ressources qu'elle ne le laisse penser. Une santé de fer malgré sa silhouette éternellement courbée, une vue perçante, une force physique surprenante. Et surtout, un cerveau qui tourne à cent à l'heure, lui permettant d'obtenir par la ruse la tranquillité à laquelle elle aspire. Ses victimes sont nombreuses, à commencer par le réparateur de vélos qu'elle ne paye jamais, le bibliothécaire à qui elle vole les pages des livres qui l'intéressent, ses voisins dont elle pille les boîtes à lettres. Ou l'employé des chemins de fer qui lui cède involontairement des traverses pour se chauffer. Carmen traverse à pas lent le quotidien de ces gens qui se méfient d'elle, mais se laissent immanquablement abuser par son apparence inoffensive, ou son impressionnante force de caractère.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les albums de Carmen Cru ont marqué les lecteurs de Fluide Glacial, qui ont vu débarquer la vielle dame irascible dans les pages de leur magazine au milieu des années 80. Le choc était visuel, tout d'abord, avec un graphisme minutieux qui surprenait par son exigence. Jean-Marc Lelong (qui nous a quittés en 2004) s'inscrivait dans la lignée des auteurs comme Francis Masse, accompagnant leur humour d'une patte graphique très marquée. Dans l'esprit, ensuite, puisque Carmen Cru est un personnage presque toujours négatif qui, sous des dehors de petite vieille inoffensive, cache une ruse, une méchanceté et un égoïsme à toute épreuve. Aucun des récits de cette intégrale, qui regroupe les 4 premiers albums de la série, ne laisse apparaître un côté positif chez la vieille dame qui ne supporte rien chez ses congénères. Le rythme dont Lelong affuble son personnage, aux mouvements lents, accorde une continuité impressionnante à l'univers de cette anti-héroïne. Assise sur sa chaise en attendant que le petit garnement qu'on lui a confié cuve le vin chaud qu'elle lui a fait boire, elle est hors du temps. Les albums regroupés ici n'ont pas vieilli. L'humour noir de Lelong étant, comme celui des Idées Noires de Franquin, intemporel. L'auteur y a probablement trouvé l'exutoire à sa propre vision pessimiste de l'existence. Une œuvre originale, drôle et féroce. Une mécanique de l'humour qui fait mouche et donne à réfléchir.