L'histoire :
Après avoir attendu six mois la date du rendez-vous qu’il lui a fixé, une patiente se retrouve enfin sur la table de consultation de son médecin généraliste. Le docteur lui demande donc le problème qu’elle a eu six mois plus tôt… Elle lui explique qu’il y a six mois, elle lui aurait répondu qu’elle avait très mal au ventre à un endroit précis. Le médecin l’informe qu’au regard de ce symptôme, il l’aurait hospitalisée d’urgence six mois plus tôt, car elle n’avait plus que trois mois à vivre. En somme, cette patiente devrait être morte depuis trois mois. Aussitôt, la femme enclenche la cérémonie funèbre qui la concerne. Et alors qu’elle est encore vivante, elle se retrouve dans son cercueil demi ouvert au milieu de l’église, avec son mari recueilli devant elle pour une dernière prière. Ce faisant, ce dernier l’interroge : n’a-t-elle pas pris rendez-vous avec les pompes funèbres un peu tôt ? « Cette fois, je préfère anticiper ! ».
Pendant ce temps, la file d’attente s’allonge devant le cabinet du médecin. L’un des patients se trouve là depuis deux mois, pour une angine qu’il avait, donc, il y a deux mois. Il demande à son voisin de devant s’il accepterait de lui refiler son rhume, il ne voudrait pas être venu pour rien…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour la troisième fois, Emmanuel Reuzé applique la recette savoureuse de l’absurde pour focaliser sur des situations kafkaïennes de la vie ordinaire. Pour la forme, ses historiettes dupliquent x fois la même case dessinée de manière volontairement statique, déshumanisée et détaillée, à la manière froide d’un mode d’emploi Ikéa® ou une projection d’architecte. La colorisation participe de cet effet kitsch, avec ses teintes surannées et ses trames de point. Cette technique renforce la sensation d’immobilisme et d’incapacité des protagonistes mis en scène. Car chaque historiette nous plonge dans une situation de tous les jours, avec un détail essentiel qui manque, un travers exagéré ou une légère torsion du réel. Ce sont les délais dans les rendez-vous médicaux ou pour les places en crèche ; les gens qui font du « air » quelque chose ; la gestion de la tauromachie comme une multinationale ; la xénophobie stupide ; l’école de simulation de fausses blessures pour joueurs de foot ; les pratiques commerciales abusives ; la bouffe intelligente ; le permis d’horodateur ; la surpopulation scolaire ; le mépris pour les SDF ; la sous-traitance étrangère ; les dérives marketing ; la crise des migrants ; les abandons d’animaux familiers le jour des départs en vacances ; les temps d’attente téléphoniques vers les call-centers… Reuzé est désormais entouré des co-scénaristes Jorge Bernstein, Vincent Haudiquet et Nicolas Rouhaud. Les « gags » satiriques produits en groupe suscitent la même tonalité de rire jaune et crispé. C’est toujours fin, savamment dialogué, justement ciblé, et parfaitement décapant.