L'histoire :
Désormais devenus de fiers marins, les rats naviguent vers un improbable El Dorado et la faim commence à se faire sentir. Or, s’ils se considèrent comme « des putains d’écumeurs des mers », ils ne sont pas encore au point pour la pêche. A ce titre, ils sortent de sa « retraite », dans un Frigidaire cadenassé, la dissidence, un rat retors à la politique locale. Ils ont pour objectif de le transformer en appât. Pour le malheureux élu, complément esseulé, ce n’est pas très démocratique de procéder ainsi. Mais il est malgré tout désigné pour être débité en morceaux, qui iront au bout des cannes à pêche. A force de se débattre, le dissident s’éjecte du bateau et s’emmêle dans les lignes avant de tomber à l’eau. Trois batraciens attirés par le tumulte en surface croient faire la capture du jour en se jetant sur le rat. Comme il est lui-même empêtré dans le fil de pêche, tout ce petit monde se retrouve bientôt hissé sur le pont. Célébré par ses congénères pour son rôle dans cette prise inattendue, il a la vie sauve… pour le moment. De leur côté, les grenouilles sont ficelées puis jetées par-dessus bord au bout de cannes à pêche. Ne s’avouant pas vaincues pour autant, elles tentent une négociation avec leurs bourreaux. A la surprise générale, c’est du ciel que s’abat la voracité d’un canard affamé. La lutte est âpre pour maîtriser la prise à son tour emmêlée dans les lignes de pêche…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Second volet de la série, Pirat’s, Lame de fond s’ouvre sur une tirade philosophico-cosmique, avant de partir comme il se doit en délire nautique. Les rats naviguent, certes, mais ils n’ont plus rien pour se nourrir, ni pour mettre au bout de leurs hameçons. Cette situation extrême prépare le terrain à un périple qui s’annonce houleux, où les rencontres avec les grenouilles philosophes et la pieuvre misanthrope ne leur faciliteront pas la tâche. Cette bande de muridés allumés n’a rien perdu de son allant, ni de sa verve vitriolée depuis la série Pacush Blues. Dans cette aventure allégorique à la limite d’un sea movie déjanté et d’une étude sur les tréfonds de la psyché, on retrouve tout ce qui fait le talent de Ptiluc : un humour intelligemment cynique dans un univers gris, sale et triste. Le trait nerveux est adouci par l’harmonie des couleurs et la mise en page « immergeante ». L’ensemble est jubilatoire tant ça foisonne de double-sens, d’allusions sociales et de clins d’œil désenchantés à la triste réalité de la vie. Ici aussi, tout n’est que manipulation, mensonge et trahison pour ceux qui ont le pouvoir. Ici aussi, les meilleures intentions ne sont pas celles qui convainquent la masse. Ici aussi, « la sueur des travailleurs est un aphrodisiaque pour les puissances occultes tapies dans les tréfonds secrets du monde réel ». Et pourtant, la bonne humeur demeure, pendant que les messages fusent de toute part, humanistes, politiques, sociaux critiques, l’éventail est large. Le but, lui, reste le même : dénoncer l’absurdité ambiante et jouer avec les messages d’espoir, pour bien mettre en évidence que si l’espoir existe, il est toujours fragile face à la cruauté qui règne en ce monde. Le titre revêt alors toute sa profondeur… abyssale.