L'histoire :
Au sein d’une base arrière, un général américain établit sa stratégie d’attaque du lendemain, envers un ennemi qu’il s’agit d’éradiquer. Il a réuni ses plus fidèles officiers autour d’une carte d’Etat-Major, et il propose un contournement pour repousser les troupes vers des marais pestilentiels. Tous les officiers présents confirment la stratégie comme étant la bonne. Tous, sauf un : le Père Noël. Songeur, la mine grave, mal rasé, le Père Noël est chiffonné par un détail qu’il peine à avouer. Certes, l’idée de repousser l’ennemi vers les marais est bonne mais… heu… imaginons qu’il y ait des enfants ?! Car pour le Père Noël, il est philosophiquement impossible de faire du mal à un enfant, en dépit de son dévouement patriotique sans faille. Clairement, le Père Noël est tiraillé. Il veut se battre jusqu’à la mort, exhorter les autres à l’assaut, mais pas touche aux enfants. Le général comprend et lui propose d’être porte drapeau lors des assauts, en première ligne. Plus tard, dans le dortoir des hommes, c’est la tournée du courrier. Un officier passe dans l’allée centrale avec un caddy rempli de lettres. Il y a un pli pour McArdle, un autre pour Harris. Tout le reste est pour le Père Noël. Comme d’habitude…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Prenez un terrain de guerre américain, dans la base arrière où l’Etat-Major établit sa stratégie, soit un hangar empli de héros forts et virils, comme savait les définir l’industrie ciné des années 30. Peu importe le conflit, nous ne saurons jamais qui l’US Army combat, ni où, ni pourquoi. Ce qui importe Daniel Goossens, dans son grand-œuvre non-sensique absurde et couillonne, c’est de planter au milieu de ce contexte très codé une figure qui fait radicalement contraste : le Père Noël. Habillé de son manteau à moumoute et avec sa hotte sur le dos, ce dernier se retrouve officier au service de cette armée très organisée. Et il nourrit les scrupules logiques qui accompagnent cet engagement paradoxal : car il est hors de question de faire du mal aux enfants ! Et il faut bien aussi assumer sa fonction initiale. : le Père Noël reçoit de nombreux courriers des uns et passe des coups de fils aux autres pour peaufiner le cadeau à concocter en fonction de leur degré de sagesse moyenne annuelle. C’est donc un peu Apocalypse Now, c’est-à-dire la gravité d’un conflit armé, la bande son emphatique de la Chevauchée des Walkyries, mais avec un traineau et des rennes en guise de ballet d’hélicos. C’est magnifiquement couillon. Chaque protagoniste se prend au sérieux, incarne un pur héros hollywoodien. Et le dessin est sublime par ses cadrages, sa composition, ses détails d’arrière-plan, ses postures solennelles, ses clichés à contre-emploi, les seconds rôles ont la gueule de Burt Lancaster ou de John Wayne… Une bonne idée que de rééditer (pour les fêtes 2022) cette œuvre initialement parue en 1986, soit 11 ans avant que ce génie humble de la BD soit Grand Prix d’Angoulême. Elle se complète par un dossier final (des recherches graphiques, des couv + une histoire hors série). La préface élogieuse est signée de Michel Hazanavicius, qui s’y connait carrément en ciné hollywoodien et en couillonneries.
