L'histoire :
Walid est un jeune manifestant qui s'investit totalement dans les mouvements de rue de ce début 2013, dans la région du Kef. Saïf, son frère plus raisonnable, vit à Tunis où il poursuit ses études. La famille a soutenu la révolution qui, deux ans plus tôt, a permis la chute de Ben Ali, qui tenait le pays sous sa coupe autoritaire depuis trente ans. Les deux jeunes hommes s'opposent dans leur vision de l'action nécessaire pour faire évoluer le pays, Saïf tentant de convaincre son frère de ne pas prendre autant de risques. Aziz, le colocataire de Saïf, vient juste de trouver un job dans un centre d'appels, mais il réalise très vite que son salaire ne lui permettra pas de mettre de l'argent de côté. Il aimerait pouvoir offrir à sa petite amie Meriem un projet de vie, mais se rend compte que l'horizon reste bouché pour qui n'a pas les bonnes relations. La société tunisienne reste totalement inégalitaire. Elle n'offre pas les mêmes chances à tous. Alors certains pensent à partir vers la France, tandis que d'autres continuent de placer la sociale et politique lutte au cœur de leur vie. Lorsque le chef d'un parti de gauche est assassiné, les manifestations prennent une autre tournure, et se dirigent plus clairement contre Ennahda, le parti islamiste qui avait emporté la majorité aux élections deux ans plus tôt.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour cet album en tant qu'auteur complet (autrice complète ?), Hélène Aldeguer poursuit dans la veine historique contemporaine de ses premiers travaux. L'histoire politique tunisienne est au cœur du livre, précisément centrée sur quelques mois de 2013 qui représentent un basculement, un peu plus d'un an après la victoire d'un parti religieux aux élections législatives. La jeunesse se révolte contre les promesses non tenues du vent de liberté qui avait emporté le pays, et découvre l'élimination d'opposants politiques, comme sous l'ancien régime. La Tunisie a été vue comme le plus paisible, pourrait-on dire, des pays arabes aux prises avec un printemps révolutionnaire. Mais les mésaventures de Saïf et ses amis nous montrent que les enjeux politiques de la reconstruction d'une société y ont provoqué des tensions graves. Le style d'Aldeguer est plutôt moderne, des traits fins et des noirs sans nuances, et des personnages qui évoluent sur des décors sans ombres, parfois très stylisés. Une approche qui colle assez bien à l'ambiance journalistique de son récit, plus soignée graphiquement que certains carnets de voyage qui font la joie des éditeurs de romans graphiques. Il faut un peu de connaissance de la situation politique en Tunisie sur ces dernières années pour apprécier le contexte de ce reportage aux côtés d'une famille et d'amis, juste après la chute du pouvoir absolu incarné par Ben Ali. Les explications en fin d'album sont probablement à lire en tout premier, tant le créneau choisi est relativement précis et mérite des éclairages. Une fois tout cela mis en place, le destin de ces jeunes tunisiens est plutôt captivant, et raconté avec un mélange équilibré de points de vue, politique, social et humain.