L'histoire :
En mai 1876, Loti est officier dans l’armée britannique, à bord d’un cuirassé qui mouille en rade de Salonique, port grec alors sous domination turque. Profitant de ses privilèges de gradé, il descend à quai, pour se promener. Il ne cherche pas grand-chose, juste à s’imprégner de l’ambiance sensuelle, légèrement orientale de la ville. Il s’arrête sur un banc et son regard est alors capté par les yeux verts d’une femme, derrière les barreaux d’un harem. Voilée, ne parlant pas la même langue, Aziyadé le subjugue instantanément, au point de lui faire manquer l’heure du dernier canot pour rejoindre le bord. Il se noue alors d’amitié avec un autochtone, Samuel, qui le raccompagne en barque. Ce dernier deviendra un véritable compagnon de débauche, l’emmenant souvent en virée, le soir venu. Mais Loti ne vit plus que pour Aziyadé et la réciproque est tout aussi vigoureuse. A plusieurs reprises, Loti retourne voir Aziyad, aux fenêtres de son harem. Les deux tourtereaux réussissent même à se donner des rendez-vous plus intimes, de nuit, sur une barque. Soudain après un trimestre, la fonction de Loti exige qu’il rejoigne Constantinople. C’est un déchirement, aussi bien pour eux deux que pour Samuel…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après son diptyque Extrême orient, Franck Bourgeron réitère dans la chronique exotique, un peu plus à l’est, avec cette remarquable adaptation du roman (quasi-) autobiographique de l’écrivain Pierre Loti. Dans un contexte historique intéressant (la Grèce sous domination turque), son personnage éponyme, Loti, reste perplexe devant l’absurdité de l’existence. « Il faut toujours épicer de son mieux le repas si fade de la vie ». Il le confie volontiers sans des lettres, qui ponctuent régulièrement le fil du récit. Loti cherche sa place et finit par la trouver à travers l’amour pour une jeune inconnue. Cette quête de soi est donc chevauchée par une belle (et tragique) histoire d’amour, déraisonnable et pourtant foncièrement mature, qui prendra le temps de se fortifier à l’extrême. Car tout ce qui sépare ces deux êtres – culture, langue, éducation – sera porteur de sens pour Loti, prêt même à renier sa nationalité par amour pour Aziyadé. Bourgeron trouve la juste tonalité, contemplative et emprunte d’une profonde mélancolie, pour transposer cette histoire romantique. L’artiste prend le temps de poser les ambiances, au travers desquelles se promène son « héros », qui pense beaucoup via une narration en voix-off. Uniques, son coup de crayon et ses cadrages verticaux, toujours aussi maîtrisés, se reconnaissent entre mille. Des fronts allongés vers le haut, des gros sourcils, un trait moderne, hachuré mais impeccablement cadré… Un style brut mais esthétique, en parfaite adéquation avec le ton du récit, en outre magnifié par la sobriété de colorisation signée Claire champion. Une adaptation raffinée, à lire en écoutant Mahler…