L'histoire :
Un débat télévisé : qu'est-ce que l'argentin idéal ? Question incontournable en Argentine. La discussion dévie rapidement sur une dispute autour de la vie de Carlos Gardel, chanteur de tango, figure mythique du pays, dont la voie a été classée patrimoine Mondial de l'humanité par l'Unesco en 2003. Dès lors, au fil de la narration, nous entrons dans le Buenos Aires des années 30, imprégnés de cette ambiance typique du Tango des bas-fonds et des bars animés de la Reina del Plata. Dandy à la voix d'or, Gardel exerce sur ses congénères une séduction entretenue par son goût pour l'ambiguïté : il refuse de dévoiler son lieu de naissance ; sauf sa mère, il semble ignorer les femmes ; quant à la politique, il passe allègrement d'un bord à l'autre... « Mamita, je pars en Amérique du Nord pour triompher au firmament du cinéma ». Nous continuons le voyage dans les motels, les bars de New York City, à l’apogée de son art et de son succès. Les dernières pages mettent en scène des intrigants : prémonition funeste, qu’adviendra-t-il de l’artiste ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Aujourd'hui sexagénaire, Munoz connaît la consécration : il est couronné par le Grand Prix de la Ville d'Angoulême 2007. L’année suivante, peu avant la nouvelle édition du festival qu’il préside, sort le tome I de Carlos Gardel, fresque déboussolante d’une Argentine des années 30 en mal d’identité. Maître du noir et blanc, Jose Munoz nous offre un dessin foisonnant. Les traits enlevés passent de l’abstraction à un figuratif brut, du grotesque à un expressionnisme nostalgique. Ce mélange des styles renforce une impression d’étrangeté, d’irréalité. La narration, de la même façon, peut sembler décousue, fragmentée : flash-back, ellipses, sur un fond de débat improbable autour de la nationalité argentine idéale. Carlos Gardel apparaît sinon lisse, tout au moins inabordable. Déroutant : dans cette ambiance nébuleuse, tout est fait pour perdre pied. Est-ce une volonté de l’auteur qui juge « le scénario de la vie très médiocre » ? Possible, car au fond, Carlos Gardel est un prétexte pour parler des origines, un prétexte pour évoquer une Argentine « cosmopolite et fragmentée entre plusieurs identités nationales ». À travers le style disloqué de Munoz, on pressent l’âme, orgueilleuse et courtoise de tout un pays, peuplé de quartiers malfamés, de poètes sonores dont Carlos Gardel est un emblème.