L'histoire :
Marion et Julien, un couple plutôt aisé, habite une grande maison à la Rochelle. Ils ont quatre enfants, mais les trois aînés ont quitté le nid familial. Seule reste la petite dernière, Lou, une lycéenne mature. Aussi Marion propose-t-elle un service d’accueil à une association d’aide aux mineurs orphelins. Après une visite du domicile afin de valider que les conditions d’accueil sont saines, Belen, la responsable de l’association, propose à Marion d’accueillir une jeune femme de 19 ans, une migrante venue du Liberia qui a vécu l’enfer depuis 5 ans. Rokia est anglophone, ses parents sont morts de l’Ebola, et après avoir fui le risque sanitaire de son pays, elle est restée « coincée » des années en Lybie, avant de traverser la Méditerranée sur un zodiac et d’arriver illégalement en Europe via l’Italie. Marion accepte et prend un premier rendez-vous avec Rokia pour faire connaissance. Lors du déjeuner, Marion et Lou découvrent une jeune femme longiligne un peu gauche et fort peu bavarde. Elles n’apprennent pas grand-chose mais ressentent son immense fragilité, son besoin d’être choyée et mise en confiance. Rokia arrive ainsi dans la famille. Mais les premiers jours sont difficiles : Rokia ne dit quasiment rien, ne montre aucune émotion et ne sort de sa chambre que pour les repas, y remontant dès la dernière bouchée avalée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quitterie Simon relate ici une expérience authentiquement vécue, sans doute partiellement romancée. Le personnage de Marion est a priori son alter ego, qui accepte d’accueillir en toute générosité, pour une durée indéfinie, une migrante venue du Liberia, malgré les nombreuses barrières culturelles. En effet Rokia est noire, musulmane, anglophone, illégale et mutique. Son « intégration » au sein d’une famille blanche, occidentale, traditionnelle de la Rochelle est en outre plombée par plusieurs traumatismes psychologiques… et de fait, il s’agit de ne pas violer une fois de plus sa construction en tant qu’être social en lui posant trop de questions inquisitrices, en ne forçant précisément pas son assimilation à notre culture. En tout altruisme, Marion tente donc de concilier le respect de l’intimité de Rokia et la bienveillance familiale, gratuite et disponible à chaque instant. Elle joue pour la quatrième fois le rôle de mère, une vocation qui, cette fois, la bouleverse. Quelles sont les raisons intimes d’un tel engagement ? Pourquoi a-t-elle besoin d’accueillir et de materner ? Régulièrement réfugiée dans son mutisme, Rokia lui ment-elle ou est-ce le poids de ce qu’elle a vécu qui l’enferme ? Au cours de cette longue chronique sociale (167 pages), on suit l’histoire de cet accueil qui progresse à pas feutrés sur le plan des révélations, mais qui est ponctué par un stress administratif permanent. Rokia doit être expulsée, elle s’évade tantôt dans la religion, tantôt dans des souvenirs dont on n’est jamais certain de l’authenticité – d’où le titre. Ce sujet touchant participe d’une meilleure compréhension de la difficulté d’intégrer et/ou d’accueillir des migrants en raison des barrières culturelles. Il est non spectaculaire, mais enrichi par un magnifique dessin réaliste en couleur directes de Francesca Vartuli, dont on peut juste reprocher une expressivité de personnages (volontairement ?) limitée, mais très appliqué sur les décors et les cadrages.