L'histoire :
Sous une pluie torrentielle, la journaliste Mayom et son chauffeur tentent de gagner un temple hindou en 4x4. Le véhicule embourbé, ils finissent à pied, sans craindre les bandes armées Pindharis : ce sont eux que Mayom vient rencontrer. En arrivant, elle découvre un profond abattement chez ces rebelles : Chaabi et Sondeep, deux figures emblématiques de la révolution, ont été tués dans une embuscade. C’est l’occasion pour la journaliste de recueillir les témoignages de leurs proches, qui racontent leur vie d’avant et leur entrée dans la révolte grâce à Chaabi. Ainsi le vieux Basu, sage en apparence, était-il jadis un assassin de grands chemins. Sondeep, lui, était sorti de son bidonville pour devenir également un meurtrier, puis un mendiant. Sanjay était le fils d’un fier brigand des montagnes ; à la mort de son père, il reprit son flambeau en tentant d’unifier les tribus, jusqu’à sa rencontre avec Chaabi. Enfin, quant à Chaabi lui-même… il fut vendu par ses parents, enfant, à un riche industriel. Officiellement, c’était pour « étudier en Angleterre ». En réalité, il rejoignait sans ménagement d’autres enfants esclaves dans une mine de soufre…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Tout comme dans Cuervos (du même Richard Marazano, prix du meilleur scénario à Angoulême en 2004), on évolue ici parmi des enfants soldats issus des bidonvilles, qui luttent pour survivre. Mais il s’agit ici d’un autre continent et d’une lutte autrement plus vertueuse que celle des sicaires narcotrafiquants, qui donne de l’Inde un tout autre reflet que celui des catalogues de voyages. D’entrée de jeu, on nous annonce la mort du héros. Marazano s’emploie alors à empiler les flashbacks sur l’entourage de Chaabi, pour mieux le cerner de son vivant. Jusqu’à celui tant attendu de Chaabi, qu’on ne croise pour la première fois qu’à la page 30 ! Singulièrement, alors qu’on s’attendrait presque à voir paraître le Che, ce symbole humain de la révolution, adulé et respecté, prend alors les traits d’un innocent gamin sans véritable charisme. La méthode narrative est astucieuse et révélatrice de la démarche. Car il reste à comprendre (dans un second volet, voire plus ?) comment un gamin lambda a pu donner naissance à un tel mythe. Ce faisant, Maranzano se penche non seulement sur la condition des enfants esclaves et sur les remugles de la société de caste indienne, mais il vise avant tout à mettre en exergue l’instrumentalisation des personnes à des fins politiques. Un objectif intéressant, mis en relief par Xavier Delporte, pour qui il s’agit du premier album de BD. L’inexpérience graphique de cet ancien postier ne se remarque guère, tant son dessin réaliste est peaufiné et élégant, idéalement valorisé par la colorisation d’Isabelle Cochet. Une séduisante réflexion géopolitique et sociologique…