L'histoire :
Une vieille dame noire rentre chez elle, dans le 10ème arrondissement de Paris, un matin de mars 1988, quelques semaines avant la réélection de François Mitterrand. Elle monte au 4ème étage et, lorsqu’elle sort de l’ascenseur pour entrer chez elle, un homme l’abat de plusieurs coups de pistolet à bout portant. Cette femme, c’est Dulcie September, une militante sud-africaine anti-apartheid. En 2022, les auteurs rencontrent une militante du parti communiste et anti-apartheid, ancienne professeur d’anglais, Jacqueline Derens, qui leur retrace le parcours de Dulcie. Très proche d’elle – c’est elle qui a dû la reconnaître à la morgue – elle a toujours voulu écrire un livre sur son parcours. Elle commence par retracer leur rencontre à un congrès de l’UNESCO en 1979, où elle était venue témoigner du sort des enfants sous l’apartheid. L’enquête sur son meurtre a abouti en 1992 à un étrange non-lieu.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Avant d’être un scénariste reconnu pour Cher pays de notre enfance (avec Etienne Davodeau) ou Le choix du chômage (avec Damien Cuvillier), Benoît Collombat est journaliste. Et pas qu’un peu. Grand reporter chez France Inter, il a mené un grand nombre d’enquêtes depuis vingt ans sur des scandales d’Etat (Boulin, Bérégovoy…) et des grand évènements internationaux (guerres, tsunami, etc.). Journaliste engagé, il livre des scénarios de BD extrêmement précis, documentés. Des enquêtes au long court, et ici encore ce sont 300 pages pour enquêter sur un nouveau (enfin ancien, mais encore un) scandale d’Etat. Comment est-il possible qu’en 1988, à la fin du premier septennat du premier président de gauche de la 5ème République François Mitterrand, une militante des droits de l’homme soit assassinée, en plein Paris, dans la ville capitale du Premier Ministre Jacques Chirac ? Quels sont les liens entre les commanditaires, probablement proches du régime ségrégationniste encore au pouvoir à ce moment-là, jusqu’en 1991, et l’Etat français ? Comment est-il possible que l’enquête ait abouti aussi vite sur un non-lieu alors même qu’en 1992, le régime était tombé au profit du symbole de la liberté, Nelson Mandela ? Dulcie September était alors la représentante officielle à Paris de l’ANC, parti dont Mandela allait prendre la tête après sa libération en 1990. Le texte est touffu, très difficile à lire et à suivre. C’est passionnant, mais il faut être très concentré pour suivre. Le dessin de Grégory Mardon ne sert qu’à illustrer de la manière la plus simple et efficace qui soit le propos. Il y arrive bien, même s’il est souvent mangé par les récitatifs. On ressort élevé de cette lecture parfois roborative, mais ô combien savante et importante pour comprendre un monde complexe et sans pitié.