L'histoire :
Aux studios de la MGM, en 1960, un assistant stagiaire est chargé d’aller demander à « Monsieur » Buster Keaton s’il accepte de faire la doublure lumière lui-même pour les plans qu’il doit tourner un peu plus tard. Le gamin se doute qu’il va se faire rembarrer par la star, qui a bien autre chose à faire. Il dérange Buster Keaton sans sa loge, en train de lire son journal. Le célèbre acteur des années 20 décline effectivement la proposition avec une forme de nonchalance blasée… Mais il est sympa et dans la discussion qui s’entame, il évoque le nom de Roscoe Arbuckle, alias Fatty. Or étant donné que le gamin n’en a jamais entendu parler, Keaton se met à raconter son rapport d’amitié avec cet acteur qui était bien plus célèbre que lui et que Charly Chaplin aux premières heures du cinéma muet. En 1917, lorsque Buster Keaton décroche son premier rôle dans un théâtre newyorkais, on lui présente Roscoe Arbuckle, qui a déjà tourné plus d’une centaine de films, autant en tant qu’acteur qu’en tant que réalisateur. Il le découvre en train d’essayer un costume de femme. Une complicité entre les deux hommes nait immédiatement. Pour son premier film, qui se déroule dans une épicerie, Buster Keaton se prend un sac de farine en pleine poire, après qu’un comparse se soit baissé. Tel était l’humour « tarte à la crème » pratiqué dans le muet de ces années folles…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cent ans plus tard, qui se souvient de Roscoe Arbuckle, alias Fatty, roi d’Hollywood, véritable star du cinéma muet de la première époque, avant Charly Chaplin et Buster Keaton ? Dans cet épais ouvrage édité par Futuropolis, Nadar (au scénar) et Julien Frey (au dessin) proposent tout à la fois une biographie de ce « monstre » oublié du cinéma, mais aussi une histoire de la censure pratiquée par les ligues de vertu. En effet, après avoir été accusé d’un viol et d’un meurtre pour lesquels il a été acquitté, Fatty a été mis au ban pendant plusieurs années par le milieu du cinéma. A l’époque, le républicain William Hays impose même un code (le premier code de censure, le code Hays), qui définit ce que le bon goût et la morale acceptent et rejettent, afin de plaire au public et véhiculer de belles valeurs. On ne peut s’empêcher de rapprocher le destin de Fatty de celui actuel d’Harvey Weinstein… Et pourtant, il semble bien que le premier de ces deux-là était innocent. Le procès qui lui a été fait était préalablement public et médiatique, car l’accusation qui le concernait entrait en parfaite concordance avec sa vie de patachon et la grossièreté de son registre – mais c’était bel et bien le genre d’humour qui fonctionnait à cette époque ! En ce sens, les auteurs cernent des problématiques toujours actuelles : les procès populaires, ainsi que le révisionnisme ou l’interdiction des œuvres, au détriment de leur accompagnement contextuel. Cette biographie fait donc sens, en sus d’être impeccablement narrée et dessinée.