L'histoire :
En mai 1944, à 15 km de Lyon, une grande famille habite dans un vaste corps de ferme. « Habite », ou cohabite plutôt, tant les idéologies des 4 frères adultes qui la composent sont antinomiques en cette période trouble. Ils furent tous éduqués dans l’amour de la patrie, celle du Maréchal Pétain, vainqueur des boches en 1918, par leur mère : leur père est tombé pour la France durant la première guerre mondiale. Mais à la veille de la libération, les tensions sont palpables entre Marc et Henri d’un côté, et Serge et sa femme Lucienne, enceinte, de l’autre. Le couple travaille en effet avec un zèle tout particulier à l’Institut National d’Hygiène, en étroite collaboration avec Jürgen, un chercheur allemand. Serge et Jürgen se réjouissent des progrès des études menées au sein de l’INH depuis le début de l’occupation. Les employés, eux, voient d’un mauvais œil que les pains de sucre récemment reçus soient réservés à l’élevage des mouches en labo, plutôt qu’à la population sous le joug de stricts quotas. Serge est considéré comme un collabo, encore plus franchement maintenant que l’on sait que les alliés ont débarqués en Normandie. Certains pensent même que Lucienne est enceinte de Jürgen (à juste titre ?). Au sein de la famille, c’est encore Roland, le frangin engagé dans la résistance, qui leur témoigne les meilleurs égards. Roland sent que quelque soit l’issue de la guerre, la famille n’en sortira pas indemne…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le recul et nos livres d’Histoires ont ancré dans notre mémoire collective une image relativement simplifiée des positions sociales sous l’occupation : les résistants étaient les courageux gentils, et les collabos les méchants traîtres. A la veille de la libération, les choses ne furent sans doute pas aussi manichéennes dans le détail… et les règlements de compte qui en ont découlé n’eurent rien de glorieux. Cette période de crise fut l’occasion pour nombre de français revanchards de s’abandonner à de bien dégueulasses humeurs. Intimement ébranlé par la guerre (du Liban), Sylvain Ricard semble en avoir fait une thématique récurrente à son œuvre de scénariste de BD. Cette fois, il s’allie au dessinateur Arnü West (Victim’, H&H, Harrison & Holmes), avec qui il partage le goût pour le traitement des comportements humains en conditions extrêmes. A travers les rapports qu’entretiennent les membres de cette famille tiraillée par des idéologies rivales, les auteurs s’interrogent. Paradoxalement et intelligemment, ce sont ici les deux frères les plus antagonistes qui sont les plus soudés. Que pouvait-on (ou devait-on) éprouver à ce moment, selon que l’on était résistant ou collabo ? La honte d’être tondue semble alors plus pénible que la mort. Ricard et West ne cherchent pas à être moralisateur : il n’y a guère de morale à retenir de cet été charnière. Avec tout leur savoir-faire narratif, ils livrent une chronique amère et sans doute très juste, d’une époque fascinante et douloureuse de notre Histoire.