L'histoire :
Arrêté en plein carrefour, Nicolas de Crécy (puisqu’il s’agit de lui) prend une photographie à l’aide d’un numérique. Scrupuleusement, il vérifie sa prise sur l’écran : le portrait publicitaire d’un cochon, affiché sur un immeuble en rénovation au cœur de Nagoya (Japon). Puis le temps se gâte, la pluie déferle et l’image se fait moins nette, jusqu’à disparaître… La vie se poursuit en souterrain, dans le métro, ou à Osukannon, un quartier renommé en partie couvert. Là, les étales se dressent par centaines, la foule se presse et les rues regorgent de couleurs parfois à la limite de l’overdose. Nicolas y est à la recherche d’un graphisme, d’une forme parfaite comme celle de ce cochon capturé ou plutôt de cette gentille boule de poils sur pattes à l’œil si expressif. La nuit, les distributeurs de boisson eux-mêmes proposent des idoles bon marché. A peine quelques yens et le dieu Qoo est à vous ! Si la monnaie vous fait défaut, alors les épiceries ouvertes à toute heure viendront à votre secours vous offrant, en plus, nombre de ses concurrents. Le lendemain, par le shikansen effilé comme le Concorde, arrive le manager de l’auteur, un homme à l’allure sale et peu dégrossie. Outre draguer les belles orientales, il est venu aider au travail, dans cette quête existentielle que s’est fixé celui qui n’est plus qu’une vague silhouette, un fantôme : prendre forme humaine…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Encensé par la critique, apprécié des libraires et un nombre conséquent de lecteurs, Nicolas de Crécy ne se croit pas pour autant arrivé et sait qu’il est encore loin de faire l’unanimité. Y prétend-t-il d'ailleurs ? Sans doute pas. Il nous revient ainsi une fois encore avec un album iconoclaste, aux contours flous, à la fois volontaire et rêveur. Introspection très personnelle, presque égoïste même si exhibitionniste, cette histoire à caractère hautement autobiographique nous promène de Nagoya (Japon) à Montmartre (Paris) en passant par Recife (Brésil). L’artiste en voyage est aussi en quête pour lui-même d’une forme pertinente, à l’instar de ces « dieux » nippons, figurines publicitaires à la ligne simple mais parfaite. Jusqu’alors, il ne ressemble à rien. Il est un fantôme capable de mutismes divers mais sans réelle existence propre. Que souhaite-t-il être ? Quel sens donner à son œuvre, à sa vie ? Vaste chantier, abordé graphiquement au moyen d’un style tourmenté, semblant brouillon, dessiné au stylo bille ou parfois au fusain. Ce n’est pas lisse, et cela s'apprécie de différentes manières. Des confessions telles celle-ci, l’album en est rempli, de la théorie de la digestion/régurgitation au « décor idéal pour se perdre ». Nicolas de Crécy se livre et va au bout de lui-même. Une nouvelle fois les éditions Futuropolis nous étonne. Ce pavé de quelques 200 planches en rebutera beaucoup, en lassera peut-être aussi (hors la première partie exotique fascinante au pays du soleil levant). Et pourtant, cette réflexion curieuse interpelle. Ne sommes-nous pas tous schizophrènes ?