L'histoire :
De mai 68 aux années Mitterrand, le pays est un terreau fertile pour les luttes politiques et les idées de renouveau. Le prolétariat et les héritiers du gaullisme s’affrontent par leurs idéologies et leurs actions. Les noms comme « Carlos » résonnent dans les oreilles de ceux qui lèvent le poing, et les réseaux se font et se défont au gré des arrestations. C’est dans cette fourmilière clandestine que Jean-Marc Rouillan, révolutionnaire aux méthodes expéditives, rencontre Gabriel Chahine, artiste libanais pétri de liberté, charmeur et plein d’entrain, à l’aise dans tous les milieux, amateur d’art et éloquent en toute circonstance. Longtemps en orbite autour du groupe Action Directe, groupuscule terroriste communiste, le voile de mystère qui entoure Chahine s’épaissira et le personnage se révèlera aussi intéressant pour la lutte que dangereuse pour celle-ci, oscillant d’un côté à l’autre de la frontière de la loi sans aucune difficulté, comme un chat qui retomberait systématiquement sur ses pattes.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’Escamoteur est avant tout le fruit d’un remarquable travail d’enquêteurs fourni par les deux auteurs qui se mettent d’ailleurs en images au sein du récit, recoupant les témoignages, croisant les sources, découvrant sans cesse un nouveau masque sur le visage de leur personnage principal. Gabriel Chahine apparaît comme un prisme à multiples facettes, aussi bien dans ce qu’il raconte de lui que dans ce qu’en disent ceux qui l’ont connu. Les années se succèdent, les amitiés se forgent dans les convictions, puis se déchirent dans la trahison. Les jeunes esprits révolutionnaires se muent en terroristes activistes, et au milieu de ces tensions politiques un tableau, celui de « l’Escamoteur » attribué à l’entourage de Bosch, symbole d’une société bernée par ses dirigeants, où l’honnêteté n’est pas là où on pourrait le croire. Partant d’une bribe de souvenirs, Sébastien Goethals déroule avec Philippe Collin le fil d’une histoire qui, au fur et à mesure des pages, semble aller bien au-delà des attentes initiales. Troisième opus du tandem rompu à l’exercice, l’alchimie du scénario et des dessins est impeccable. Le bel addendum de fin d’ouvrage rédigé par l’historien Fabien Archambault ajoute du relief à cette fresque graphique, s’appuyant sur une épaisse bibliographie qui met en lumière les évènements médiatiques de cette période et l’étonnante ramification militante. Comme quoi, en dépoussiérant la mémoire d’un enfant des années 80, il est possible de révéler des destins aussi alambiqués que celui de l’intriguant Gabriel Chahine. Ou, comme le disent les auteurs eux-mêmes, l’histoire d’un homme qui rêvait d’une vie plus grande que la sienne.