L'histoire :
Nous sommes en novembre 2010, et le printemps arabe a bouleversé les équilibres politiques dans les grands pays du nord de l'Afrique. Mais la Syrie fait partie des états qui ont fermement résisté au vent du changement. Alors que les 40 ans de la prise de pouvoir de Hafez El Assad, désormais remplacé par son fils Bachar, sont célébrés dans les rues de Damas, le contrôle des manifestants est total. Il faut nécessairement scander le nom du dirigeant historique, il faut forcément célébrer cet anniversaire, les gros bras qui sont au cœur de la foule s'en assurent. Ils sont relayés par ceux qui ont pris fait et cause pour le pouvoir, contre des faveurs qui leur assurent un train de vie et une influence qui les distinguent de leurs concitoyens. Dans les rues de Daraya, la proche banlieue, Karim l'étudiant en médecine revient pour de courtes vacances et aperçoit la très belle Fatima, dont il est éperdument amoureux. Mais la jeune femme lui fait comprendre que son éloignement de leur vie quotidienne pour ses études lui pèse beaucoup. Quelques mois plus tard, alors que Moubarak est chassé du pouvoir en Egypte, les cafés de la capitale bruissent d'une envie de liberté. Karim souhaite prendre part aux groupes qui tentent pacifiquement de faire évoluer la situation politique, mais comprend que la dureté du régime va aller croissant. Alors qu'il apprend que Fatima vient d'accepter un mariage arrangé avec l'un des plus méprisables collaborateurs du régime, des amis le conduisent à se rapprocher des mosquées où, malgré la surveillance rapprochée du pouvoir, un discours de libération semble prendre forme.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Jean-Pierre Filiu et Cyrille Pomès poursuivent leur collaboration avec ce témoignage sur la sanglante répression qui a conduit Bachar El Assad à utiliser des armes chimiques contre son peuple en révolte. Une tranche de l'histoire récente, qui a cristallisé l'impuissance des pays occidentaux face à un régime sans pitié, mais disposant de soutiens forts parmi quelques puissants du globe. Filiu est sans pitié dans son réquisitoire contre le régime, tout en nous apportant bien plus qu'une chronique de journaliste. Il présente avec finesse le rôle que jouent les opposants au sein des mosquées, et de quelle manière certains résistants sincèrement démocrates peuvent progressivement se rapprocher d'une vision religieuse de la société. L'enjeu de la relation amoureuse entre Karim et Fatima, et la proximité qui s'installe avec la famille de l'étudiant en médecine, sont la chair d'un récit qui est néanmoins très politique. Jean-Pierre Filiu est l'auteur d'un poème appelé La dame de Damas, dont on peut voir de touchantes versions chantées sur le net, assez proches de la tradition de la chanson militante. Cette force de conviction imprègne l'ensemble de l'album, qui est la poursuite du travail de témoignage de Filiu. Cyrille Pomès illustre cette chronique avec énergie, adaptant son style à la nécessaire rapidité des événements qui s'enchaînent. Relativement économe en décors, il use avec parcimonie des effets de mise en scène qui accompagnent souvent les séquences émouvantes des romans graphiques. Pomès rejoint ses personnages dans une forme de simplicité et de sobriété, tout en montrant un belle capacité à adapter le nombre de cases de ses planches au tempo du récit. Voilà donc un album à la fois extrêmement instructif et bien réalisé. Un moment de lecture qui donne à réfléchir, et pas seulement aux fans de BD.
