L'histoire :
Pauline propose à Stéphane Levallois, jeune artiste peintre, de faire l’objet de la prochaine exposition de la galerie Atome dont elle s’occupe. Elle sollicite une trentaine d’œuvres, des portraits nus de femmes, petits formats « pour qu’on puisse les vendre ». Evidemment ravi, Stéphane doit néanmoins trouver au préalable des modèles. Et pas question de demander à des professionnelles, vu son maigre budget… Il pioche donc parmi ses amies, et pour commencer Florence. La caméra à la main, il débarque dans son appartement, un peu gêné, tout à fait conscient de l’aspect impudique de la démarche. Florence est une beauté froide, inaccessible. Il la connait depuis l’école primaire où, il y a bien des années, ses qualités athlétiques l’avaient subjugué. Aujourd’hui, il découvre son corps mis à nu, blanc et maigre. Et il le redessine le soir venu chez lui, un œil rivé à l’œilleton de sa caméra, cherchant à saisir « la bonne image ». Une fuite au plafond dégouline sur ses croquis. Il monte sonner chez le voisin. Quand la porte s’ouvre, le personnage qui apparaît porte un énigmatique masque à gaz…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Stéphane Levallois est un artiste multi supports (peinture, cinéma, publicité…), qui se fait trop rare dans le 9e art. Après 7 ans d’absences (Noé en 2000), le mode d’expression « bande dessinée » s’est à nouveau imposé à lui comme une nécessité, pour qu’il livre un magnifique et étrange récit autobiographique, tout en noir et blanc. Le dernier modèle s’impose avant tout comme une réflexion âcre sur le rapport qu’entretien, d’un côté un artiste et son modèle, et de l’autre la finalité de l’œuvre et l’œil couperet du public. En effet, comme son nom l’indique, lors d’une exposition, l’artiste s’expose. La démarche créatrice s’accompagne ici d’une forte notion de culpabilité, que symbolise a priori Stéphane Levallois par le fantôme au masque à gaz. Culpabilité d’intérioriser son amour pour cette grand-mère mourante, de violer une part d’intimité ne lui appartenant pas, d’imposer un reflet de l’être choquant pour un certain public. Et pourtant, la démarche artistique ne saurait souffrir de la restriction apocryphe des mœurs d’une époque. Au-delà du champ de la création, Le dernier modèle nous bombarde véritablement d’émotions diverses : fragilité de l’artiste, ambiguïté des relations hommes-femmes, éminemment liées à la découverte du corps… D’une grande maîtrise, le dessin en noir et blanc s’adapte aux moments. Parfois, les proportions se déforment, les arrière-plans s’étiolent. A maintes reprises, on ne sait plus si on est dans la réalité, ou dans des fantasmes, des obsessions, et à vrai dire, ça n’a aucune importance. Au terme de la lecture, alors que l’on parcourt quelques toiles couleurs, tourmentées et splendides, inspirées du récit, perdure néanmoins le sentiment diffus mais puissant d’avoir réussi à pénétrer un propos vaste et bouleversant…