L'histoire :
11 Juin 2019. En tenue de randonneur, Etienne Davodeau se tient debout dans une prairie, à la verticale parfaite au-dessus de la grotte de Pech Merl (Cabrerets, dans le Lot). Sur les parois de cette grotte, des hommes de cromagnons ont peint, il y a environ 22 000 ans, 25 animaux, dont un magnifique mammouth. L’œuvre pariétale de cet homo sapiens s'est a priori produite en 1h30 maxi et elle impressionne Davodeau. Pour en apprendre plus sur la société humaine de l’époque, il discute en marchant sur quelques kilomètres avec Bertrand Defois, qui appartient à l’équipe technique qui entretient la grotte. Le mammouth peint ne date « que » de 22 000 ans, contrairement aux peintures de la grotte Chauvet (Ardèche), qui remontent à 36 000 ans. Un peu plus profondément dans cette grotte de Pech Merle, se trouvent aussi des « chevaux ponctués », datés quant à eux de 29 000 ans. Environ 7000 ans séparent ces deux peintures… ce qui est vertigineux, quand on pense que le laps de temps les séparant est plus large que celui qui nous sépare du temps de l’édification des pyramides d’Egypte ! Cette évocation permet à Davodeau de réfléchir à ce qui relie l’homme au sol. Car dans un autre registre, tragiquement contemporain, l’humanité est en train de décider l’enfouissement de déchets nucléaires dans le sous-sol argileux de Bure (dans la Meuse). Et c’est d’ailleurs la destination et le but de l’exercice de Davodeau : relier Pech Merl et Bure, deux « souvenirs », l’un du passé l’autre de l’avenir, ancrés dans le sol par l’Homme…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En juin 2019, Etienne Davodeau a authentiquement accompli cet insolite exercice sportif : relier à pieds la grotte de Pech Merl dans le Lot, au site d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure, dans la Meuse. En réalité, cette randonnée diagonale de 800km, du Sud-Ouest au Nord-Ouest, est mue par un triple objectif parfaitement cohérent. A la fois road trip contemplatif, il permet à l’auteur un propos « politique » anti-nucléaire assumé, mais aussi divers focus didactiques qu’il délègue à des spécialistes sur les sujets abordés. Ces experts ont été consultés en amont ou en aval de la randonnée… mais il accompagnent l’auteur narrativement, tour à tour, tel des fantômes érudits, sur quelques kilomètres, le temps de faire le tour de leurs domaines d’expertises. Ainsi, le spécialiste des peintures rupestres de Pech Merl passe-t-il le relai à l’agronome Marc Dufumier (qui explique le cycle du sol), à Bernard Laponche (scientifique en nucléaire et néanmoins opposant à l’énergie atomique, pour une explication sur le projet Cigéo de l’Andra à Bure), à Michel Labat (élu local de la Meuse, pour une rétrospective du projet), à la sémiologue Valérie Brunetière (comment expliquer à nos descendants de 100 000 ans du futur, la trace des déchets que l’on s’apprête à laisser à Bure ?), à la conservatrice Ariane de la Chapelle et la responsable de production France Moline (le support de transmission le plus durable est-il toujours le papier ?), à l’activiste écologiste Joël Domenjoud (qui se confronte depuis des années aux gouvernements successifs qui installent Cigéo). Evidemment, le propos de fond est partisan, intimement opposé à Cigéo. Cette BD reportage est néanmoins très intéressante et offre en creux une réflexion vertigineuse, mature et sereine sur notre anthropocène. Sa limite est qu’elle dénonce, mais ne résout pas le problème central : que faire des déchets nucléaires que les centrales françaises produisent depuis plus de 50 ans… et dans tous les cas, a minima pour encore quelques décennies.
