L'histoire :
Frazzi et son homme de main Domenico Coracci finissent leur sinistre besogne : ils se rendent au port et jettent le corps du témoin dans l’eau. Sans plus attendre, le mafieux italien appelle Meredith Bambrick, la candidate républicaine. D’un ton sec et sans appel, il l’avertit clairement : c’est la dernière fois qu’il l’aide pour les élections. Elle doit rester clean et ne plus se faire remarquer dans des bordels ou autres hangars désaffectés. Elle doit continuer à entretenir l’image d’une famille catholique bien sous tous rapports, très loin des pratiques sado-maschistes auxquelles elle s’adonne en cachette. Les élections à la mairie de New York sont dans trois mois et le parti démocrate est considérablement affaibli. En effet, le candidat Lou Mac Arthur a promis d’abolir la peine de mort alors que l’Amérique entière attend avec impatience la mise à mort de l’ennemi public numéro un : Joshua Logan. Dans le même temps, l’avocat de Joshua, Cyrus Chappelle, est passé violemment à tabac dans un parking souterrain. Il est sauvé aux urgences dans un état inquiétant. Malgré la violence de cet avertissement, Cyrus compte bien se battre jusqu’au bout pour innocenter Joshua Logan...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Voici la suite de la suite. Car l’enfer est ici est un cycle qui poursuit exactement le fameux Pouvoir des Innocents. Après un premier tome haletant, les auteurs (déjà créateurs du Pouvoir des innocents) offrent un superbe album, un modèle d’efficacité dans le polar. Comme à son habitude, Luc Brunschwig joue d'intrigues en parallèle, qui finissent par s’emboîter les unes aux autres. Les narrations se multiplient et le lecteur oscille entre pas moins de cinq histoires différentes. Toutes convergent pourtant vers une seule et même trame : l’innocence (ou non) de Joshua Logan. Comme le titre l’indique, cette multiplicité d’épisodes aboutit à trois témoignages capitaux : celui de la psychiatre qui a suivi Joshua avant qu’il ne s’échappe du centre, celui de l’immigrant hindou qui a entendu les coups de feu à l’endroit du meurtre de Carole Ann Stone et, bien-sûr, celui de Joshua Logan, qui ne cesse de crier son innocence et qui offre une version des faits explosive. La narration morcelée est superbement efficace et maintient un suspense insoutenable. C’est aussi l’occasion de travailler les transitions. A ce titre, on a quelques fondus enchaînés remarquables. Certains épisodes en amènent d’autres de façon fortuite, imitant parfaitement le rythme de la vie. Des personnages secondaires émergent de cette histoire multiple, comme l’avocat Cyrus Chappelle ou le dangereux homme de main Domenico. La force de l’album réside aussi dans la peinture de la société américaine. Tout est parfaitement représenté avec une sobriété et une finesse d’analyse étonnantes. Ainsi, les auteurs balaient quasiment toutes les couches sociales : hôpital psychiatrique, monde de la politique, usines qui utilisent la main d’œuvre étrangère, mafia, police, militants politiques… De plus, le cycle repose sur un parallèle des plus impressionnants avec deux destins opposés. Avec habileté, Brunschwig renverse les choses : Logan, innocent rendu coupable, est enfermé en prison tandis que Frazzi, coupable jamais inquiété, traîne sa sinistre carcasse dans les rues de New York. Pendant que l’un essaie de se battre contre les rouages de la société, l’autre les manipule pour mieux accentuer son emprise. Le dessin de David Nouhaud (mis en scène par Laurent Hirn) est tout aussi sublime et la couleur accompagne parfaitement ce trait ciselé. A tel point qu’on a l’impression de voir du Hermann (c’est d’autant plus vrai quand on voit la beauté de la couverture en couleurs directes). Bref, le tome est parfait de maîtrise narrative et graphique et d’une densité remarquable. Le trio Brunschwig / Hirn / Nouhaud réussit le tour de force de remettre au goût du jour la puissance du Pouvoir des innocents, d’autant que plusieurs flashbacks permettent de retrouver ce cycle fondateur.