L'histoire :
Il y a Caridad. En chasse sur les trottoirs de Barcelone, le holster au ceinturon, le regard noir se posant sur Erwin Wolf, un anarchiste qu’elle confie aux bons soins des hommes de la police de Staline. Des camarades impatients de le faire parler. Caridad attablée devant le port de Collioure. Parlant de Pablito, mort au combat, ou de son fils Ramon qu’elle a envoyé s’entrainer dans les camps du NKVD. Caridad crachant sur le bourgeois… Il y a Sylvia. Une américaine à Paris sirotant du bon vin. Assise sur des banquettes autrefois partagées par Hemingway et impatiente de rencontrer Etienne, éditeur du Bulletin de l’Opposition. Un ancien secrétaire du fils du grand Trotski… Il y a Jacques, un journaliste sportif belge. Un homme qui pense que la politique est l’art de galvauder son existence et de gâcher celle des autres. Jacques qui aime simplement la vie. Jacques qui tombe sous le charme de Sylvia… Nous sommes à la fin des années 30. Trotski a fui vers le Mexique pour échapper au « Petit père des peuples ». Bientôt il sera assassiné. De près ou de loin, Caridad, Sylvia et Jacques seront mêlés à cette destinée…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce n’est pas une histoire d’amour. Ce n’est pas un récit historique ou une biographie. Pas non plus une intrigue mêlant politique, manipulations, espionnage. Mais c’est tout cela à la fois… C’est d’ailleurs bien là toute la force et l’intérêt de cette plongée en 70 planches. Une immersion nous entrainant des trottoirs de Barcelone à une villa mexicaine, en passant par New York et Paris. Le fil rouge dévidé par Gani Jakupi n’est pas des moindres, puisque l’auteur originaire du Kossovo, barcelonais d’adoption, met en scène l’assassinat de Trotski. Ancré à de solides balises historiques (très intelligemment détaillées par le menu en fin d’album), le récit s’offre la liberté d’imaginer. De fait, rien ne s’est réellement passé comme décrit, mais rien n’est complètement faux non plus. Pour nous embarquer, Jakupi canalise le scénario sur les protagonistes du drame. Il leur fait reconstruire à force d’une judicieuse découpe, le fil des événements. Il sème ici où là quelques indices. Intrigue quant aux rôles de chacun (qu’on devine malheureusement parfois un peu rapidement) et distille à merveille l’effervescence socio-politique de ce contexte si particulier. Mais ce qui emballe plus qu’agréablement l’ensemble, c’est le rôle qu’il donne à Sylvia en lui confiant le soin d’absorber, au fil des pages, notre empathie. Plus que cette inexorable mise en mouvement de l’Histoire, c’est a posteriori le « sacrifice » collatéral de cette jeune femme qui nous touche de plein fouet. Comme il a pris l’habitude de le faire, le dessinateur livre des aquarelles subtilement cadrées et d’une extrême sensibilité. Peut-être parfois un brin trop « lavées », mais accompagnant très bien ce récit original et fort d’enseignements.