L'histoire :
A 22 ans, dans sa Sardaigne natale, Igor Tuveri, nourri de l’Empire des signes de Roland Barthes et des écrits du médecin samouraï Ekiken, travaille sur un nouveau récit se situant au Japon. Le jeune dessinateur, qui ne porte pas encore sa fine moustache, propose sa trame narrative au scénariste Daniele Brolli. La collaboration aboutira au premier ouvrage d’Igort : Goodbye baobab, et marquera le début d’une relation intime avec le pays du Soleil-Levant. Dix ans plus tard, le réel rejoint l’imaginaire lorsque l’auteur italien pose le pied et l’esprit sur la terre des maîtres de l’estampe. Invité par l’éditeur Kodansha, il donne corps à son désir d’écriture au long cours, ainsi qu’à celui d’effleurer le mystère que constitue pour lui la culture nippone. Les multiples voyages tireront peu à peu le voile sur son imagerie, ses auteurs, sa philosophie, son histoire. Mais comme toujours, la découverte de l’autre est aussi celle de soi...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après l’Ukraine et la Russie, les Cahiers d’Igort offrent leurs pages au Japon et leur encre à l’intimité de l’auteur. Les témoins de l’horreur ont disparu, à la faveur d’une voix tendre, exprimant sa délicate affection pour une culture dans laquelle elle se pelotonne peu à peu, ou qu’elle invite progressivement en elle : « ce lieu m’est entré dans la peau. » Bien loin de récits de voyage qui ont fondé leur succès sur l’exploitation prononcée des différences, voire d’un ethnocentrisme bien malhabile, ce livre reflète la démarche d’un homme éminemment sensible, curieux, désireux de se laisser guider par la force de l’étranger. Comme l’annonce le sous-titre « Voyage dans l’empire des signes », Igort se fait l’héritier de Roland Barthes, qui s’était attaché, en 1970, à témoigner de son voyage au Japon dans un récit fragmenté mêlant textes et images, à partir de cette observation qui guidera l’ensemble de sa réflexion : « Pourquoi le Japon ? Parce que c’est le pays de l’écriture. » Les cahiers japonais sont également œuvre de fascination, envers les images, la littérature, les lieux, l’histoire et le silence de cette terre et de son peuple. Une fascination qui se nourrit pas à pas : « Enivré par les estampes japonaises, je m’étais avancé dans ce monde des signes, simples en apparence, qui dissimulaient un savoir mystérieux. » Ce n’est donc pas seulement un pays que l’on pénètre, mais bien davantage l’imaginaire et la sensibilité d’un homme, qui sonde avec une déférente exaltation le langage d’un Autre, à travers ses lectures, ses rencontres, ses flâneries. La construction narrative semble d’ailleurs fonctionner par associations d’idées, dévoilant des fragments narratifs ou documentaires sur des sujets aussi variés que ceux de son expérience de mangaka au cœur de la rigoriste industrie japonaise, du rituel des chrysanthèmes, à la vie d’Abe Sada, prostituée. Le tout porté par des dessins changeant de style selon le propos, s’inspirant de la diversité de l’histoire iconique du Japon, et agrémentés de documents d’archive. Des images qui reflètent le plaisir mélancolique d’Igort à retrouver les traces d’un passé, celui d’une culture qui s’efface peu à peu derrière une modernité à marche forcée, et celui de sa rencontre avec le Pays du Soleil-Levant. Un très beau livre qui, des mots de son auteur, « est une machine à remonter le temps [qui lui] a permis de voyager pendant deux ans à reculons, à l’est de [soi]-même ».