L'histoire :
Cela fait plusieurs semaines, plusieurs mois même, que le cargo « Aldebaran » mouille en rade de Marseille. A bord, les marins ont été avertis que c’en est fini : le tribunal de commerce a saisi le navire en garantie des dettes contractées par l’armateur. Ils ont reçus un maigre pécule en solde de tout compte et s’en sont allés, pour la plupart. Seuls restent maintenant à bord le capitaine libanais, Abdul Aziz, et son second grec, Diamantis. A vrai dire, ils ne savent pas trop pourquoi ils restent. Ils savent pourtant qu’ils n’ont aucun avenir à bord. Or la sédentarité ne convient guère à des marins comme eux, accoutumés au voyage permanent. Hors du temps, stationnés à quai, ils se sentent complètement perdus. Abdul et Diamantis se côtoient depuis des années, ils s’estiment même. Mais ils ne se connaissent pas intimement. Peu à peu, la promiscuité à deux les oblige à faire connaissance avec les démons et les espoirs l’un de l’autre. Abdul rumine la rupture d’avec sa femme, Céphée, fatiguée de devoir attendre son époux. Diamantis, lui, prend une décision : retrouver Amina, une prostituée qu’il a connu à Marseille 20 ans auparavant et avec qui il a connu le vrai et tendre amour. A l’époque, il avait été menacé de mort par un caïd de la pègre et avait du renoncer à ses intentions d’évasion, l’abandonnant à son sort sans un mot…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A travers ces Marins perdus, Clément Belin rend hommage à l’une de ses passions : la mer et les bateaux. Il adapte pour cela en bande dessinée le roman de Jean-Claude Izzo, qui embrasse justement ces thématiques qui lui sont si chères. En effet, l’artiste est avant tout diplômé de l’école de marine et il a parcouru le monde sur de nombreux bateaux, pétroliers et navires de soutage. Il renoue en outre dans cette histoire, avec une double expérience personnelle : le gardiennage d’un cargo dans le port de Marseille et ses rencontres avec des équipages abandonnés par leurs armateurs. Eut égard à tous ces paramètres, il est logique que cet auteur-marin ait particulièrement soigné son one-shot, sa toute première BD ! Il cerne particulièrement bien l’atmosphère lénifiante qui résulte de la sédentarité imposée aux acteurs majeurs de ce drame. Sans horizon, ces deux marins n’ont plus de perspectives. Leur chez eux, c’est sans cesse ailleurs. L’appréhension du quotidien par ces marins perdus, trop pesante pour empêcher une conclusion tragique, n’est pas non plus sans rappeler L’étranger de Camus. Graphiquement, Belin maîtrise évidemment les décors du cargo et du quai, cadres d’une majeure partie du récit. Il est parfois plus difficile de saisir les personnages (notamment Diamantis et Nédim, qui se ressemblent parfois), mais ses planches volontairement ternes ont incontestablement du style. Avec un départ si prometteur, espérons que les pinceaux de Belin mouilleront dans bien d’autres albums…