L'histoire :
En juin 2000, Lisa s’installe à Paris pour y suivre un cursus universitaire en communication. Son petit copain Théo insiste pour qu’elle emménage avec lui, dans son studio. Mais Lisa sent que c’est le meilleur moyen de ne pas réussir à travailler, et de finir par se taper sur les nerfs. Et le service social de la Sorbonne lui donne une potentielle issue favorable à sa demande pour un logement en cité U… d’ici deux ans ! Par le hasard des conversations, Théo en parle à son pote Nicolas, directeur d’une concession automobile et d’origine maghrébine, qui a une idée. Il propose à Lisa d’emménager gratuitement chez son père Mohammed, un vieil algérien qui a surtout besoin de compagnie et d’avoir une bonne raison de ranger son appartement. Lise hésite, car elle ne se sent pas l’âme d’une infirmière, mais elle reconnait que ce logement lui apporterait le calme nécessaire pour ses études. Nicolas lui présente ainsi son père, très méfiant. Mohammed pose d’emblée plein de questions à Lisa. Et Lisa emménage ainsi chez Mohammed. Les premiers temps sont un peu froids. Mohammed préfère rester dans sa chambre le premier soir, alors que Lisa lui proposait de faire le repas. Elle apprend alors que Mohammed est un ancien harki, c’est-à-dire un algérien de souche qui a aidé les colons français lors de la guerre d’Algérie, et qui a donc été expulsé vers la France au moment des accords d’Evian…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les méthodes et le déroulé peu glorieux de la guerre d’indépendance d’Algérie constituent logiquement un terreau peu exploité en bande dessinée – comparativement aux deux guerres mondiales, par exemple, dans lesquelles la France fut du côté des vainqueurs. Entre autre conséquence « honteuse », il y a la question des harkis, ces algériens de souche qui ont œuvré – et pas forcément combattu – en faveur de l’occupant français. Lors des accords d’Evian en 1962, ils ont été expulsés vers la France, tout comme les « pieds noirs » (français installés en Algérie). Et 40 ans plus tard, au moment où se déroule ce récit en one-shot, le président Bouteflika refuse encore et toujours de leur accorder le pardon (alors qu’il amnistie les combattants du GIA). Ici, le scénariste Stéphane Frey aborde idéalement la problématique par un biais didactique, franc et néanmoins apaisé. La jeune Lisa apprend le destin des harkis et le cas de conscience qu’il pose, en retrouvant un témoignage chez Mohammed, chez qui elle loge. Les auteurs entremêlent admirablement le présent (le récit se déroule à cheval sur 2000 et 2001) et les flashbacks. On comprend ainsi pourquoi certains algériens ont été harkis, victimes d’un non-choix et de circonstances de terrain. On comprend le sentiment de traîtrise et le pardon impossible des autres. On comprend le poids du déracinement et l’intégration difficile en France. On comprend pourquoi cette guerre fut dégueulasse, de tous bords. Frey avance tout en douceur, mais sans rien laisser de côté. On voit par exemple Mohammed jeune qui participe à la torture via la gégène. A l’opposé, l’état dans lequel les fellagas exposaient leurs exécutions est également abordé. Autant le biais narratif que le dessin réaliste, d’une grande douceur, et la colorisation délavée (lumineuse) de Mayalen Goust, se révèlent efficients pour mettre en scène les questions de Mémoire, pour transmettre les fractures psychologiques. Didactique, humaine, mémorielle, apaisante, voilà sans doute l’une des BD les plus pertinentes sur la guerre d’Algérie.