L'histoire :
En revenant de l’enterrement de sa belle-mère, Elsie est furieuse : elle a remarqué que son mari n’avait pas cessé de jeter des petits regards à son ex-femme, de garder constamment un petit sourire imbécile au coin des lèvres comme si de rien n’était. Pourtant, c’est elle qui l’a ramassé à la petite cuillère quand ils se sont séparés. Pas question de se laisser humilier, pas question que cette femme soit toujours présente dans l’esprit de celui qu’elle a traité comme un chien. Lui nie tout, évidemment, voyant dans l’irritabilité de son épouse de la simple jalousie. Pourtant, c’est bien un ultimatum qu’elle lui lance : elle ou son ex… Claquant la porte, elle s’efface pour laisser Nicole, l’ex en question, prendre la place et à son tour soumettre le pauvre homme au feu des reproches et de la douce humiliation. Au-delà de leur piètre romance, avant tout sertie par une sexualité débridée, il semble qu’une vieille histoire soit à l’origine du chaos de leur séparation : un viol subi par Nicole, pendant lequel il n’est pas intervenu. Ainsi l’une et l’autre se chargent tour à tour de le torturer lentement. Mais est-il aussi innocent que ça ? Et que vient faire la voisine courtement vêtue dans ce jeu de quille déjà bien encombré ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Initialement, Lui est la première pièce de théâtre écrite par Philippe Djian. Le texte original s’enroule désormais autour du trait talentueux de Jean-Philippe Peyraud. Ce dernier s’y prend d’ailleurs de la meilleure des manières pour nous délivrer ce huis clos sous tension. Le trait réaliste, le jeu de cadrage (sans bordure de case) ou le choix d’un décor minimaliste donnent ainsi plus encore de force au texte et en augmentent sa théâtralité. Très judicieusement, d’ailleurs, et pour confirmer cette intention, la colorisation (bichromie) évolue en fonction des protagonistes. Choisie aussi pour marquer le caractère de chacune des « interlocutrices » de « Lui », elle assure également la transition entre les scènes (ou les niveaux de lecture). Certains regretteront d’ailleurs peut-être cette excessive place faite au théâtre, pour un travail relevant plus de l’adaptation que de l’appropriation. Car ici, c’est d’abord le texte qui domine, exclusivement porté par des scènes dialoguées. Aussi, sur plus de 170 pages, l’effet statique ainsi obtenu devient un petit frein à notre engouement. En parfait contrepoids, la construction de l’intrigue vient quant à elle aiguillonner notre curiosité et rendre obligatoire une lecture de bout en bout. Car cet homme au centre du récit devient très rapidement on ne peut plus intriguant. Dans l’entrelacs de ses rencontres, on finit par ne plus savoir où l’on est : réalité, fantasmes ou inexorable folie. Ce qui semblait simple et évident s’effrite peu à peu pour laisser place à l’obscur, au faux semblant. Le procédé est captivant, judicieux. Il nous laisse accompagner le tortueux questionnement d’un individu bien incapable de résister aux sollicitations féminines, quelle qu’en soit la teneur. Particulièrement déstabilisant.
