L'histoire :
Sur l’île de Siberut, en Indonésie, les Mentawaï luttent pour conserver leur mode de vie, en totale communion avec la nature, au cœur de la jungle. Profondément animiste, malgré une assimilation à marche forcée mise en œuvre par les régimes successifs, la tribu des Mentawaï s’évertue à conserver ses traditions séculaires, et à les transmettre. Quand Teo Lepon, un sikerei (chamane), invite Tani à filmer une cérémonie d’initiation d’un nouveau chamane, il n’y voit que de l’argent à gagner. Mais lorsqu’il découvre les premiers rushs, il comprend vite la valeur de ces images pour documenter la vie de sa tribu, pour la sauvegarder et la transmettre. Or, au fil d’un tournage galvaudé par un montage dont Tani sera totalement écartée par un producteur peu scrupuleux, cette dernière, avec l’aide de Teo, décide d’intégrer les Mentawaï aux tournages et à les former à filmer ou bien réaliser des montages pour maîtriser leur propre image...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
De prime abord, il n’est pas évident de réaliser une bande-dessinée anthropologique sous l’angle d’un making-of d’un documentaire télévisuel. Et pourtant, c’est ce qu’a réussi à faire la scénariste Tahnee Juguin au fil des 160 pages de Mentawaï. En suivant ainsi le tournage du projet TV initié par Thanee (Tani dans la BD) et un obscur producteur, le lecteur va peu à peu découvrir les us et coutumes animistes de la tribu des Mentawaï sous un prisme de vision original. En effet, par-delà des scènes qui sont tournées, on prend conscience de la volonté de ce peuple de refuser la marche forcée vers son assimilation à la société indonésienne, tout en se servant paradoxalement de la modernité et de l’argent du tourisme pour y parvenir. Et c’est cette ambivalence des Mentawaï au regard du monde extérieur qui devient au fil du récit la clé de voûte de leur lutte. À ce titre, la seconde partie de la bande-dessinée met en avant la genèse du projet Mentawaï Storyteller afin de permettre à la tribu de maîtriser son image en réalisant elle-même ses documentaires de A à Z. Porté par les dessins très fins et les couleurs chatoyantes mises en place par Jean-Denis Pendanx, qui insufflent énormément de corps à l’ensemble, Mentawaï prend la forme d’un récit anthropologique / ethnographique de haute volée, dans lequel la jungle s’avère être un élément central. À ce titre, il est à noter que les représentations de la forêt en font un personnage à part entière. Véritable source de vie et lieu dédié, la jungle de l’île de Siberut y est décrite comme un point d’ancrage essentiel à la survie des autochtones. Au final, Mentawaï est une œuvre forte qui sort des sentiers battus du genre et permet au lectorat de découvrir le peuple des Mentawaï et d’en apprendre beaucoup sur leur culture ancestrale peu à peu englobée dans la modernité. Tahnee Juguin réussit à dépeindre le difficile jeu d’équilibriste réalisé par cette tribu pour survivre et continuer à faire vivre ses traditions. À la fois invitation au voyage et introspection d’un peuple en perte de ses racines, cette bande-dessinée est à découvrir de toute urgence !
