L'histoire :
C'est la nuit. Une voiture s'arrête devant une maison, des policiers sortent du véhicule. Alerté par le bruit, un homme s'enfuit, laissant ses compagnons de lutte derrière lui, à la merci des militaires. Il se réfugie dans un bar perdu pour noyer sa détresse. La tenancière s'avance vers lui et lui propose des femmes pour passer la nuit. Il y a Maria, pour le plaisir, Rosa pour la chance et Margarita pour l'oubli. Il choisit l'oubli... Le lendemain matin, l'homme ne se souvient de rien. Il est réquisitionné pour charger des paquets sur un navire. Il s'appellera désormais Perramus, comme cela est écrit dans l'intérieur de la veste qu'il enfile. Elle appartenait jadis à un marin suédois. Perramus embarque ainsi à bord avec d'autres matelots pour justement jeter ces paquets en pleine mer. Ces paquets contiennent les corps sans vie d'opposants au régime, liquidés. Dans la cabine du capitaine, Largo et Chupete prennent un verre pour fêter le bon déroulement de l'opération. Cela leur permet de gagner des dollars transférés sur un compte à l'étranger. Alors que les matelots sont envoyés dans la cale, le travail terminé, un incident vient jeter le trouble sur le bateau : l'un des capitaines, Largo, est abattu froidement par un autre, Chupete...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Totalement disparu des rayons, voire inconnu des bataillons, Perramus, jadis publié chez Glénat (entre 1986 et 1991), est aujourd'hui réédité par les Éditions Futuropolis, grâce notamment à une opération de crowdfunding sur le site Kiss Kiss Bank Bank. Huit ans, c'est le temps qu'il a fallu à Alberto Breccia et Juan Sasturain pour accomplir cette immense fresque de presque 500 planches. L'argentin Juan Sasturain et l'uruguayen Alberto Breccia se sont directement inspirés de l'histoire contemporaine de l'Amérique Latine, dont la plupart des pays furent les théâtres de dictatures militaires sanglantes et expéditives : l'Argentine des juntes militaires (1976-1983), le Chili de Pinochet (1973-1990), l'Uruguay (1973-1980). Allégorie sombre sur la dictature, Perramus critique directement le régime des généraux argentins (Héctor Oesterheld, le scénariste de Breccia, a d'ailleurs été supprimé en 1997 par le régime de l'époque). Sous la plume acérée et juste de Juan Sasturain, Perramus est un candidat à l'oubli, préférant ne pas se rappeler de la situation d'un pays fantasmagorique, plongé dans une absurdité totale et un cauchemar sans fin. Le dessin d'Alberto Breccia est d'une incroyable splendeur à travers une technique graphique particulière : lavis aux grandes textures, encres diluées et collage. Les nuances de gris et de noir font d'ailleurs écho à la période nébuleuse et sombre représentée. Incontournable et essentiel, Perramus mérite qu'on s'y attarde, pour ne pas oublier ce que la dictature peut provoquer. Des plaies et des cicatrices qui mettent des décennies à se refermer...