L'histoire :
Les voisins viennent aux nouvelles. Ce n’est pas tous les jours qu’arrive un télégramme. Celui-ci venu d’Algérie est adressé à la famille Slimani. Madame apostrophe alors son mari de sa fenêtre afin qu’il court en prendre connaissance. Mais à peine lu, l’homme s’isole sans dire un mot laissant sa femme inquiète. Pour qu’il oublie qu’elle est illettrée, cela doit être grave ! Les enfants se disputent le précieux papier jusqu’à ce que Mahmoud s’en empare : l’enfant y apprend la mort d’un monsieur, son grand-père. Bien triste jour que celui où l’enfant pleure son père. La bonne nouvelle est que bientôt, ses parents l’ayant souhaité, Mahmoud vivra avec sa mamie. Une vielle femme, ni française, ni algérienne, arrivée une nuit de décembre 1959 au port de Toulon, à qui Dieu avait refusé la faveur de suivre dans la tombe son époux. Sans doute, avait-elle à témoigner, d’autres rencontres l’attendaient ? Au matin, son petit-fils s’interroge : il a hâte de connaître sa « djidda » Marie, originaire d’un lointain pays et arborant au cou une étrange croix…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est en 1915 qu’eut lieu le « fameux » génocide arménien (dont on parle beaucoup actuellement), un massacre auquel échappa Marie Caramanian, au contraire du reste de sa famille. En hommage à sa grand-mère, Farid Boudjellal signait en 2002 aux éditions Soleil un récit tendre, hautement autobiographique, à caractère politique et historique. Connaître et reconnaître une Histoire difficile, c’est aussi savoir en faire le deuil, savoir où placer la limite entre Histoire et mémoire. Ainsi, c’est par un deuil que s’ouvre en 1950’s l’histoire de la Mémé d’Arménie venue en France à la suite de la mort de son mari. Une mort à la fois douloureuse et une chance pour le petit Mahmoud qui va enfin connaître sa mamie étrangère. Un personnage que cette mamie, chrétienne orthodoxe (et non musulmane), fêtant Noël le 6 janvier (!), forte d’un lourd vécu à transmettre. Au pays de la Liberté, de l’Egalité et de la Fraternité, Marie donne une leçon de vivre ensemble soulevant d’innombrables questions : confessionnelles, générationnelles (au regard de nos sociétés occidentales vieillissantes), humaines tout simplement. Tout cela tient en une cinquantaine de planches peintes intelligemment, à la portée de tous, gaies sans être pimpantes. Une belle idée que cette réédition soignée d’une œuvre touchante, suivie d’un dossier vérité que Marie résume en une phrase : « le paradoxe est que vous voulez vous souvenir d’une histoire que vous n’avez pas vécue, alors que nous qui l’avons subite souhaitons l’oublier ». Histoire et mémoire…