L'histoire :
Ce jour est jour de visite. Mais Renée n’a pas envie de voir son père. Enfermé entre quatre murs, Denis a fauté. Accusé par ses codétenus de pédophilie, il rétorque qu’il est là pour escroquerie. Personnage d’une quarantaine passée, l’homme ne ressemble à rien. Il est faible et se fait régulièrement passer à tabac. En prison, Denis partage sa cellule avec Arthur, le petit ami de Lucille. Arthur est jeune et Lucille lui manque terriblement. Elle s’est reconstruite grâce à lui. Il lui a permis de reprendre goût à la vie. Sans Arthur, Lucille serait morte d’anorexie. Alors elle l’attend, seule, dehors. Sa vie bat au rythme des visites qu’elle lui rend régulièrement au parloir. La vie de Renée est elle rythmée par les entrevues que lui accorde Pierre. Pierre est musicien de Jazz. Ils se sont rencontrés à l’occasion d’un concert. C’est Renée qui a fait le premier pas. Pierre est beaucoup plus âgé que Renée. De plus, il est marié. Renée ne comprend pas ce qu’il fait avec elle. Elle ne comprend pas ce qu’elle fait avec lui. Elle le trouve parfois le plus hideux au monde. Mais il répète qu’il l’aime…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L’entrée en matière est difficile. Six années se sont écoulées depuis Lucille. L’émotion fut telle et l’attente si forte qu’un premier sentiment de déception assaille le lecteur. C’est oublier qu’avant d’adorer Lucille, de pénétrer son monde et d’en comprendre la profondeur, il avait aussi fallu un temps d’adaptation. Auteur, depuis, d’un audacieux conte musical illustré intitulé Le Lac aux vélies (chez le même éditeur), Ludovic Debeurme ne choisit jamais la facilité. Il aime surprendre, dérouter, interroger. A l’instar de son trait économe et fragile, affranchi de tout cadre, Debeurme croit en « l’idée d’un scénario improvisé, en tout cas ouvert ». Son histoire prend forme – sens – de manière progressive, au fil des plus de 400 pages qui composent ce roman graphique hors norme, un pavé ! D’abord désorienté, le lecteur apprend à connaître les personnages qu’il retrouve ou découvre au fur et à mesure de leurs déboires. Car Lucille, Arthur, Renée, Pierre ou Denis souffrent dans leur corps comme au plus profond de leur être. Coupables et victimes à la fois. Enfermés physiquement et/ou moralement. Au moyen de métaphores dessinées rétrécissant, grossissant, étirant, déformant horriblement, lacérant, etc. bref mutilant les corps, Debeurme rend compte des souffrances de l’âme. Son propos est d’une violence inouïe et n’épargne que peu de choses à ses personnages, comme à son lecteur. Ce dernier referme l’album éprouvé. Il le re-parcourt pourtant indéniablement, marqué par un récit d’une poésie humaine et d’une violence rares. Un second volume sans doute à suivre, en quête d’un père trop longtemps absent (…). Qu’il faut de courage à Lucille et Renée pour (sur-)vivre avec tant de blessures à l’âme !