interview Bande dessinée

Luca Varela

©Tanibis édition 2025

Luca Varela publie en France depuis 2005. Il y habite et parle avec un accent délicieusement argentin. Nous souhaitions plus particulièrement revenir sur son univers fantastique, qui émerge de ses récits. Les éditions Tanibis, qui éditent son dernier opus, Paolo Pinocchio , semblent avoir privilégié cet aspect. Nous l'avons rencontré lors du festival de la BD d'Angoulême, fin janvier 2025.

Réalisée en lien avec l'album Paolo Pinocchio
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
23 février 2025

Bonjour Lucas. Merci de nous réserver ce moment. Nous avons découvert ton travail avec Diagnostic, chez Tanibis, en 2012 et surtout tes publications chez cet éditeur jusqu’à présent, malgré tes autres publications chez Dargaud et Dupuis. Tu résides en France désormais ? À Angoulême ?
Luca Varela : Oui, depuis 2012. D’abord à Angoulême puis désormais à Bordeaux, depuis cinq ans. Une jolie ville.

Même si l’on remarque un parallèle non sensique et sarcastique avec les histoires écrites par ton collègue Diego Agrimbeau, tes propres histoires de Pinocchio dégagent une atmosphère irréelle et onirique qui contribue beaucoup je trouve à l’attrait de celles-ci. D’où vient cette attirance vers ce personnage anti-héros et cet univers infernal, s’inspirant un peu la Comedia d’El Arte ?
Luca Varela : J’ai commencé il y a des années. C’est un personnage qui m’a permis d’exploiter mon imagination avec des histoires. Je me laissais conduire par lui, dans des histoires un peu folles. Un peu improvisées au départ. C’est un peu l’anarchie, comme dans un rêve. Peut-être c’est fallacieux. Je prends peut-être un peu trop de liberté. Dans le dernier livre, j’ai essayé d’être un peu plus construit et un peu plus « art ». Je n’ai pas beaucoup étudié la Comedia d’El Arte, mais il y a un peu de Mister Punch aussi.

Y a t-il eu des éditions étrangères à Paolo Pinocchio ?
Luca Varela :Oui, Argentine, Espagne. Il y a d’autres histoires sinon qui n’ont pas été publiées en France. Pour les éditions françaises, j’ai changé deux trois blagues un peu fortes. Ce n’était pas vraiment l’esprit du personnage ; par exemple certaines scènes ou Paolo prenait le bain avec des enfants. Dans la nouvelle version, il se baigne avec la grand-mère du chaperon Rouge (Caperucita roja).

Comment décrirais-tu la part de plaisir que tu éprouves à réaliser tes propres histoires ?
Luca Varela : Oui, je prends beaucoup de plaisir. C’est beaucoup de challenge, parce que je m’angoisse, comme les vagues qui te portent au large, mais pour vivre, j’ai aussi besoin de travailler un peu plus vite et donc avec un scénariste. C’est dommage, car mon vrai travail artistique, c’est plutôt ça.

Comment as-tu fait connaissance avec Diego ?
Luca Varela : A Buenos Aires, dans une petite ambiance de la BD là-bas. Diego, c’est intéressant parce qu’il me laisse une certaine liberté, une partie de mon univers. Comme dans les histoires courtes que l’on a fait pour Metal Hurlant, Fiero... On a fait aussi une histoire courte pour Vertigo, et une autre pour Now, revue éditée par Fantagraphics. Fiero a disparu elle, en 2016 je crois. Mais tout ce qu’on a fait pour Fiero est paru dans le livre Diagnostic. Et ensuite ça a été l’album l’Humain, en 2019, chez Dargaud.

Dans le Métal hurlant spécial Chat, Diego Agrimbeau a écrit pour toi un récit assez horrifique de chat sphinx venu de l’espace. Est-ce que ce travail t’a plu, et t’autoriserais-tu à écrire toi-même un récit de cet genre (de l’horreur pure) ?
Luca Varela : Oui, ça me plaît beaucoup. Mais c‘est une horreur un peu sympathique, non ? Ce n’est pas comme un manga. Avec la ligne claire, c’est difficile de faire vraiment peur, non ?

Ah, et pourtant, tu connais bien Aurelien Maury, de chez Tanibis. C’est pourtant ce qu’il a réussi à réaliser dans son dernier album Oh, Lenny.
Luca Varela : Oui, c’est inquiétant. Oui... mais c’est une ligne claire « sérieuse », pas vraiment la ligne claire plus rigolo comme dans Paolo Pinocchio. Mais si, si, j’aimerais bien faire des histoires d’horreur…

Dans le Chat de Métal Hurlant, le final est quand-même osé…
Luca Varela : Oui, Diego m’a laissé pas mal de liberté sur ce récit. C’est super. Ce n’est pas le cas avec d’autres scénaristes avec lesquels j’ai pu travailler. En tous cas, c’était bien moins personnel, je crois. Il faut dire qu’avec Hervé (Bourhis), il me fait des esquisses, comme il est aussi dessinateur. C’est très bien écrit et poussé. Du coup je peux aller vite.

As-tu publié dans d’autres revues que Fiero ? Et y-a-t-il des récits dont tu es particulièrement fier qui mériteraient d’être connus des lecteurs français ?
Luca Varela : Oui, il y a le livre Le jour le plus long, qui n’avait été pas très bien édité, chez Delcourt, dans la collection Shampooing. J’avais été déçu du format petit. C’était il y a dix ans et il est complètement épuisé. Désormais, on envisage de le rééditer avec Claude chez Tanibis. D’autant plus que c’est mon préféré. Une histoire de science-fiction folle, un peu cauchemar drôle... il n’y a pas de mots. J’ai réalisé vingt pages supplémentaires et je crois que ça paraîtra en septembre.

Dans Paolo Pinocchio, il est beaucoup question de mort, de déguisement, de masques et d’apparences… Est-ce que ces thèmes te sont particulièrement parlants et peut-on les rattacher à un aspect biographique éventuellement ?
Luca Varela : Je dois me concentrer pour cette question. Non, non, c’est complètement intellectuel. Je cherchais les sens de la comédie, du mensonge. Venise avec les masques... Je cherchais des liaisons, la Comedia d’el arte. Mais, le sens de raconter une histoire c’est un peu une question de mentir en un sens aussi, non ? Dans le dernier livre, c’est ça, ça change beaucoup, il y a des moments de drame et de comédie. Dieu a choisi la comédie pour cette histoire… ah ah.

On peut le relire plusieurs fois je trouve.
Luca Varela : Oui, il y a beaucoup de symboles.

La question de l’autobiographie se pose avec le passage à l’hôpital qui est dur et qui aurait pu être lié avec une histoire personnelle…
Luca Varela : Non non, je n’ai jamais été hospitalisé. Par contre, on a tous vécu le Covid. C’est juste durant cet épisode que j’ai écrit cette histoire ; c’était parfait pour décrire le cauchemar. Le seul truc réel si tu veux, ça serait les taxis de Buenos Aires, qui passent dans le livre, ah ah. Moi, je suis plutôt partisan de sortir l’auteur de bande dessinée de l’égo, de ne pas être protagoniste de ses histoires...

Tanibis a édité un petit recueil de dessins avec ce personnage, intitulé Les misères et les malheurs de l’Averne où la thématique de la torture infernale est encore plus forte (d’où sans aucun doute la diffusion plus confidentielle de l’ouvrage, uniquement vendu sur stand et sur le site de l’éditeur). Ce sont des dessins que tu avais de côté, ou cela a été une commande ?
Luca Varela : Le livre a été fait complètement pour cette occasion. On ne voyait pas trop l’enfer dans l’album principal. C’était l’idée d’en parler un peu. C’est pour ça qu’on avait besoin de rigoler un peu avec cette fête foraine de l’enfer, mais on ne voit ceci-dit pas les moments d’empalement, ah ah.

Sur un des dessins on voit Paolo caché derrière une cascade et Dieu qui passe, dont on ne voit pas le visage. Il tient une cigarette à la main. Pourquoi pas un cigare ? (Ref : Dieu est un fumeur de havane ? Gainsbourg - Deneuve 1980 film Je vous aime de Claude Berry)
Luca Varela : Non, je ne connaissais pas cette référence. C’est dommage, elle est bonne. Pourquoi a-t-il une cigarette ? C’est une image pour le rendre un peu sot, avec son petit ventre et toutes ses créatures autour… et il jette ses cendres négligemment, ah ah.

D’accord, on va finir sur cette touche d’humour. Et en ce qui te concerne, la « torture » est finie ». Merci beaucoup Luca.