L'histoire :
La guerre est finie. Le temps du Sac de billes échangé, terminé et les étoiles jaunes, disparues. Jo est rentré de son exil et son père est absent, jamais revenu de sa déportation… En ce début d’hiver 45, le temps n’est pourtant pas à l’apitoiement et ce n’est pas celui de devenir coiffeur non plus : le salon familial le débecte, Jo sera cow-boy, gangster, boxeur, businessman, mais il ne coupera jamais un seul cheveu. Pour l’instant, il préfère passer son temps avec ses copains Franck et Jeannot et disserter sur le procès de l’abominable Docteur Petiot, ou se faire une toile à l’œil au Gaumont Palace, la cibiche au bec comme un grand. Le certificat d’étude ne semble pas non plus être une de ses principales préoccupations. A moins que le programme n’ait prévu d’inclure une épreuve de Baby-Foot avec un gros coefficient. C’est justement en entamant une de ces énièmes parties que son copain Franck lui fait une proposition un peu bizarre. Celle de rencontrer un GI pour lui servir d’entremetteur pour qu’il mette une jolie poupée dans son lit : parait-il que des gamins italiens ont fait fortune à Naples en amenant les amerloques voir leurs sœurs. Jo rencontre bien son américain, mais l’idée de jouer ce genre de citoyen ne lui plait guère. Pour autant, il n’abandonne pas le GI et organise bien vite avec lui un trafic qui pourrait devenir rapidement juteux : écouler trois camions de chewing-gum appartenant à l’armée de libération.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après s’être parfaitement débrouillés de l’adaptation d’Un sac de billes, Kris et Vincent Bailly tiennent la promesse qu’ils avaient faite à Joseph Joffo en offrant également au 9éme art la suite de ce célèbre roman. On retrouve ainsi Jo juste après qu’il soit revenu de cet incroyable exil commandé par la folie nazi. Le papa n’est plus là. Le jeune ado rêve de boxe, de gangster, de cow-boy mais certainement pas de coiffure comme ses frangins et encore moins du certif’ qu’il doit bientôt passer. Dans ce Paris qui s’éveille à peine de l’occupation, notre ex-gamin livre une chronique adolescente plutôt ouatée pour laquelle ce qui compte, c’est de grandir avant tout et de laisser le reste derrière soi en tentant de gagner les premiers galons de la liberté. GI binoclard et magouille de chewing-gum, Chaplin sur grand écran, matchs de foot du Red Star, bastons gentillettes, premiers match de boxe ou premières galipettes entre les cuisses de Bernadette émaillent joliment un récit se refusant toute propension au sentimentalisme, au drame ou à la mélancolie. La guerre est déjà loin et tout semble glisser formidablement entre les parties de Baby-Foot acharnées. Il s’agira donc de s’offrir ce moment de lecture comme une photographie datée de presque 70 ans, accompagnée par un gamin attachant bouffé par l’envie de vivre sans concession. A l’heure où nos mioches trafiquent autre chose que des tablettes gout chlorophylle et où les embrouilles se finissent parfois le calibre au poing ; à l’heure où ils apprennent à faire l’amour en regardant des vidéos porno… ça fait on ne peut plus du bien (et tant pis si on passe pour de vieux machins). D’autant que le rythme narratif choisi par Kris offre un véritable dynamisme au récit en enfilant ces moments de vie sans donner dans l’empilage massif et décousu, mais plutôt en proposant un tourbillon pétillant. Idem pour la partition graphique jouée par Vincent Bailly relayée par un jeu d’aquarelles encore plus abouti qu’à l’accoutumé, allégeant parfaitement le trait sec habituel du dessinateur tout en lui laissant son incroyable liberté de mouvement.