L'histoire :
Il s’appelle Alpha, comme Alpha Blondy. Mais il n’est pas chanteur. Il est ébéniste et ivoirien. Il a une épouse et un fils : Patience et Badian. Ça fait déjà un petit moment qu’il n’a plus de nouvelles d’eux. Ils ne l’appellent jamais. Ils sont partis pour Paris, chez la sœur de sa femme, qui a un salon de coiffure vers la Gare du Nord. Un coup de téléphone, ça coûte cher entre Paris et Abidjan. Ils lui manquent tous les deux, depuis qu’ils ont pris la route pour la France. La route, sans visa… Pourtant Alpha avait tout fait pour en avoir un. Un visa Shengen court-séjour pour une visite famille et tourisme. Mais le consulat réclamait une tonne de papiers, de garanties et de démarches en tous genres. Pourtant, le grand-père d’Alpha avait fait la guerre pour la France, mais ça ne suffisait pas. Alors Alpha avait décidé de payer cher pour organiser le départ de sa femme et de son fils vers le Mali. Après il ne sait pas exactement où ils sont allés. Six mois qu’ils sont partis pour rejoindre la Gare du Nord. Aujourd’hui, c’est décidé, Alpha a tellement de projets pour sa famille, tellement de rêves qu’il va partir rejoindre les siens. Il lui reste des dettes. Alors il vend son ébénisterie pour les rembourser et payer une partie de son voyage vers Gao, direction Gare du Nord…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Peut-être qu’avant d’avoir pris pleine poire les 20 premières minutes du film Il faut sauver le soldat Ryan, vous gardiez une image d’Epinal du débarquement, du genre : petits cow-boys mitraillettes aux poings ; pan-pan ; la guerre est finie et dehors les vilains. Alpha, Abidjan-Gare du Nord participe au même rapprochement, au même coup de pied dans le cul, le nez en pleine Histoire, avec l’odeur généreusement insoutenable de la réalité. S’il fallait nous expliquer la détresse, les illusions perdues et mettre quelques visages sur le problème des mouvements migratoires, histoire de se sentir – pourquoi pas – enfin concerné, ce récit-choc en forme de road-trip de la misère, fait incroyablement le boulot. Il y a le dessin de prime abord un peu austère, trempé de lavis et de coups de feutres de gamins, pas des plus élégants mais qui, peu à peu, relaie parfaitement la forme hypnotique de la narration. Une plume trempée dans l’émotion, une voix-off confiée au personnage central, ce fameux Alpha Coulibaly, ivoirien voulant rejoindre femme et fils à Paris, qui nous lie avec une inéluctable force, à la violence de sa destinée, de son absence de choix. On suivra son périple de 6000 km, 18 mois durant, chevillé à l’espoir d’un happy end, confiant de la réussite de ce papa, certain de celle de ses compagnons d’infortunes : Antoine, le futur équipier de Messi ; le petit Augustin ou de la belle (mais abîmée) Abebi… La conclusion, son ironie cruelle ou son cynisme cinglant finira d’asseoir une triste réalité. Pas pour donner la leçon et résoudre des équations complexes, mais seulement proposer de ne pas rester totalement indifférents.