L'histoire :
Deux adolescents vivent dans un coin très rural, depuis toujours. L’un avec son père, éleveur de moutons ; l’autre dans une famille d’alcooliques, au sein du hameau proche. Livrés à eux-mêmes le plus clair de leur temps, ils passent leurs journées à faire des conneries. Comme tabasser à mort le chien de la voisine, en lui balançant des gros cailloux à la gueule. Cette salope avait qu’à pas écraser un de leurs chats. Ils abandonnent son cadavre dans le cabanon isolé et tagué où ils ont commis leur forfait. La maison de l’éleveur est dans un tel état d’insalubrité et de crasse, qu’il est impossible de manger à l’intérieur, à cause des mouches. Alors c’est barbecue à tous les repas, dans un bidon rouillé coupé en deux. Ce jour-là, en plein été, il y a un sacré problème avec les brebis : des chiens les ont affolées et dans la panique, 46 sont mortes dans le ruisseau. L’éleveur et ses fils entassent les cadavres sous un appentis, en attendant l’équarisseur, qui mettra deux semaines à passer. La purulence dans l’intervalle est une infection. Avec les potes du voisinage, les ados se lancent un défi : tenir le plus longtemps possible debout au milieu des charognes.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Quand on évoque la jeunesse désœuvrée, on s’accroche généralement à l’image des « quartiers HLM » dans le film La Haine, de Matthieu Kassovic. Pour sa première BD qui va vous coller un uppercut dans l’estomac, Sylvain Bordesoules adapte le roman de Simon Johannin, qui donne une toute autre version, néanmoins très crédible, de ce désœuvrement suprême. On ne connaîtra jamais le prénom du personnage central, adolescent au début, jeune homme à la fin. On avance dans ce pavé de presque 300 pages à mi-chemin entre le reportage et le témoignage, façon Striptease (l’émission belge), mais avec des pensées descriptives et des réflexions intimes en prime, en encadrés narratifs. Le dessin à l’aquarelle, en couleurs directes, trouve le juste ton entre le réalisme de son intention, quasi photographique, et son rendu, régulièrement approximatif et jeté. On ne saisit pas toujours la scène à laquelle on assiste, comme si Bordesoules avait volontairement négligé sa représentation, par pudeur ou embarras. Le gamin vit dans une ferme dégueulasse avec son père. Il porte en permanence un vieux maillot du PSG, se lave deux fois par an (quand il y pense) et a un bon ami, Jonas. Ensemble, ils font toutes les conneries qui passent, surtout les plus ignobles. Ils manient un vocabulaire très réduit et s’expriment la plupart du temps avec une grossièreté qui leur semble la normalité. Forte tête et bagarreur, le narrateur est à l’image de son entourage : rural, raciste, égoïste, hâbleur, au plus bas niveau imaginable de l’échelle culturelle. Il est pourtant loin d’être idiot, on apprend notamment à lui découvrir une grande sensibilité psychologique, mais il est quand même mal barré dans la vie. L’image du chien qu’il tue dans les premières pages le hante régulièrement, durant toutes les années où nous suivons son destin, comme l’acte fondateur de son impasse, jusqu’à ce qu’il devienne un jeune homme en perdition, loin de ses racines. La drogue, les mauvaises fréquentations, la prise de conscience de sa vie de merde… c’est violent et pathétique. A travers le texte, la peinture de cette mentalité étouffante et stérile est saisissante d’authenticité, et paradoxalement poétique. Ce tiers-monde français, pour lequel tout le monde s’accorde à faire la politique de l’autruche, se trouve pourtant à deux pas de chez vous.