L'histoire :
Cédric Villani, grand mathématicien français, confortablement installé, discute avec le dessinateur Edmond Baudoin. Celui-ci lui montre ses photos de classe (« J’étais nul en classe et surtout en maths. En dessin, je me débrouillais ») et son village de Villars-sur-Var, à quelques encablures de Nice. De son côté, le mathématicien lui parle de son enfance à Toulon, de ses grands-parents niçois. Après avoir fait connaissance, les deux hommes entrent dans le vif du sujet : parler de quatre hommes de l’ombre (leur action est connue des seuls initiés) qui, dans un éclair de génie, ont changé la face du monde. Tout d’abord, Werner Heisenberg, l’incertain, l’un des pères de la mécanique quantique. Ensuite, Alan Turing, l’affranchi, un mathématicien qui a décrypté le code Énigma utilisé par les nazis. Puis Leo Szilard, le prophète errant, l’un des créateurs malgré lui, de la bombe atomique. Enfin, Hugh Dowding, le chevalier du ciel, un aviateur artisan de la victoire de la Bataille d’Angleterre (1940) contre l’Allemagne. Quatre destins hors du commun. Quatre hommes qui ont un point en commun : de violents conflits intérieurs et un rôle majeur dans une aventure qui les dépassait : la seconde guerre mondiale !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est Cédric Villani, grand amateur de 9ème Art, qui a proposé à Edmond Baudoin de réaliser ensemble une bande dessinée. Le premier a reçu, entre autres, la médaille Fields en 2010 (la plus prestigieuse récompense pour des travaux en mathématiques, une sorte de Nobel de la profession). On le connaît aussi pour son look très décalé (cheveux mi-longs, lavallière de soie et broche-araignée en ambre), pour ses initiatives de vulgarisation de sa matière, d’où sa présence sur des plateaux de télé. Le second est plus qu’un auteur de BD, c’est un artiste de bandes dessinées estimé (Alph-Art du meilleur album en 1992 !). Deux hommes qui ont les pieds sur terre et la tête dans les étoiles. L’alchimie créative fonctionne entre eux dans Rêveurs Lunaires. En choisissant justement une narration sous forme d’interview, Villani insuffle de la vie à son récit. Il réhabilite en quelque sorte ces hommes discrets, qui ont été injustement oubliés. Sans eux, l’Europe serait certainement sous pavillon nazi. Parmi les quatre portraits, certains sont plus accessibles que d’autres. Ceux de Dowding, et surtout de Turing, touchent par leur thématique plus contemporaine (place et traitement médical de l’homosexualité dans la société de l’époque, l’homme et la machine…), comme un écho au film Imitation Game. Les deux autres portraits sont plus complexes pour le profane. Tous invitent à se documenter encore plus sur leurs vies et leurs œuvres pour prolonger la lecture. Côté dessin, Baudoin donne une dimension instantanée en alternant style habituel au pinceau et des libertés graphiques en croquant au crayon (avec des références à Goya, Munch, Harold Lloyd, Méliès…). N’hésitez pas à plonger dans cette lecture, difficile d’accès au prime abord, mais ô combien enrichissante intellectuellement.