L'histoire :
Suisse Romande, 1951. Tandis que certains vocifèrent à grands renforts de klaxons, Clarice Sorell s’inquiète : elle doit se rendre dans les meilleurs délais au chevet de son époux, victime d’un grave accident. Quittant son auto pour prendre quelques informations, elle s’aperçoit que la circulation risque d’être interrompue pour longtemps : un éléphant gisant sur la chaussée bloque le passage. Elle décide alors de se rendre à pieds à l’hôpital, en coupant par la forêt. Ce petit raccourci emprunté marque alors pour elle le début d’une aventure insensée : une route où elle s’effraie d’un étrange aveugle ; où elle répond avec tendresse au salut d’un petit bonhomme mi-fœtus, mi enfant ; un chemin qui la conduit dans le labyrinthe d’un étrange hôpital. L’établissement où son mari est soigné semble, en effet, accueillir de biens singuliers et mystérieux personnages : du chirurgien au passé trouble, amateur de femmes et de vodka, en passant par l’agent secret à nez pinochiesque, ou la vieille défunte qui semble en savoir beaucoup sur Clarice et son mari, tout se met en place pour qu’elle perde pied peu à peu. Mais dans quel but exactement ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Tendez la joue, qu’il vous la donne cette gifle ! Il faut reconnaitre que ce suisse binoclard est un habitué de la mandale. Depuis la première assénée avec ses Pilules bleues, il entretient régulièrement notre besoin de sentir le poing de son talent. Cette fois-ci, il uppercute via une narration ingénieuse qui tient à elle seule cette petite gourmandise de 96 pages. On pourrait évidemment vanter la qualité intrinsèque du trait réaliste (contrepoids habile au surréalisme du propos), prenant plaisir à détailler costumes et décors des années 50, à l’aise à carder les scènes ou les visages. Mais ici, le graphisme, en dehors du pur plaisir visuel, se met au service d’une mise en scène aux petits oignons. Car il en faut, des kilos de ce bulbe doré, pour nous balader dans un récit entremêlant intelligemment éléments oniriques déroutants et indices judicieux, qui donnent quelques bouffées de réalité (tout fini par se comprendre). Les flashbacks (qui n’en n’ont pas toujours l’air) participent à ces petites goulées d’air dans un univers où notre Clarice croise un casting hurluberluesque digne d’un Alice au pays des doux dingues and Co. L’histoire coud et découd à loisir (en un hommage voulu par Frederik Peeters aux comédies des années 30/50), multipliant les points de vue, entremêlant les intrigues personnelles dans le labyrinthe fantasque et envoutant de l’établissement de santé. En toile de fond de l’intrigue, c’est le sentiment de culpabilité que Peeters délaye avec bonheur : notre petite bonne femme aurait-elle des choses à se reprocher ? Cerise sur la trompe de notre Pachyderme, le dénouement final d’une précision…suisse (évidemment !) donne tout son sens au récit. Qu’on se le dise, cet album, il vous le faut !