L'histoire :
Cela fait maintenant deux ans que le baleinier Belespoir est parti en campagne de pêche, en quête du précieux ambre gris. L’équipage est toujours dirigé par le tyrannique capitaine Masquelier, devenu ivre de trophées et malade sexuel : il prend des bains de spermaceti, cette substance qu’on retire des intestins des gros cétacés. Or la santé physique et mentale de ce despote commence à vaciller tragiquement. Sa compagne Jocelyn fait en permanence les frais de cette hystérie, mais cela ne l’empêche pas, alors qu’il titube et qu’il se trouve quasiment aveugle, d’haranguer ses hommes sur le pont. Il les lance à l’assaut de l’Offshore Ground, la zone de pêche mythique, territoire de « ceux de Nantucket ». L’abbé Levasseur, le curé du bord, reçoit tour à tour les membres d’équipage à confesse et prend la mesure des griefs reprochés à Masquelier et de la cabale qui se monte contre lui. Levasseur n’a pas avoué à Jocelyn qu’il était son père, mais sa bienveillance lui vaut l’attachement de la jeune femme. C’est alors que le Belespoir arrive sur la zone de pêche voulue. Le spectacle qui s’offre à leurs yeux est alors apocalyptique…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Suite et fin d’un récit de pêche pour le moins hors norme. Recruté à bord du baleinier Belespoir – un nom particulièrement cynique – le lecteur sera plus amené à côtoyer la folie hystérique d’un capitaine qu’à découvrir un documentaire sur la pêche au XIXème siècle. La démence de Masquelier est le véritable sujet de ce diptyque, qui permet d’entremêler la réalité aux hallucinations, de délivrer une vision totalement fantasmée et improbable d’une chasse à la baleine, de mettre en scène l’environnement maritime de manière onirique et fantasmatique. Ici la mer prend des proportions de houle superlative ; là les fumées et nuages prennent la forme de fluides serpentins à connotations sexuelles… Avec cette œuvre, Durand s’adresse directement à notre inconscient refoulé. L’obsession jusqu’à la démence est décidément une thématique centrale de cet auteur (lisez Cuervos et les Durandur !). Durand boucle aussi la boucle en intégrant le personnage d’Hermann Melville, qui s’inspirera évidemment des mémoires de Levasseur sur le despotique Masquelier, pour inventer le personnage d’Achab dans son Moby Dick. Le style de dessin emprunte toutefois plus à « la nouvelle BD » – façon Blain ou Micol – qu’au réalisme encré dont il est aussi capable. La colorisation use et abuse de teintes osées en aplats. Graphiquement, c’est encore une nouvelle expérience tentée et réussie par cet artiste de bande dessinée décidément polymorphe. Les exigeants de cet art y trouveront largement leur compte.